Chroniques de la Cour

Turnover

d'Lëtzebuerger Land du 16.10.2020

Avec la nomination annoncée d’Amy Coney Barrett, plus personne ne l’ignore : les neuf Justices de la Cour suprême des États-Unis sont désignés à vie. À la Cour de justice européenne, la cour suprême de l’UE, les 27 juges y sont nommés tous les six ans. La moitié d’entre eux verront donc leur mandat renouvelé, ou pas, en octobre 2021. Encore faut-il qu’ils le veuillent. La juge roumaine Camelia Toader a créé la surprise en ne se représentant pas. « Elle aurait peut-être été obligée de se justifier sur ses méthodes de management », suggère une source proche du dossier (Land, 28.02.2020). Chez les Roumains du Luxembourg et même à Bucarest, le sujet est tabou, le silence gêné. On ne préfère pas en parler. « Cela tient peut-être à un vieux réflexe vis-à-vis du pouvoir », explique cette même source. Pourtant, les candidats à sa succession ne manquent pas. Ils ont répondu à un appel à candidature du gouvernement roumain, clôturé le 25 septembre dernier. Neuf candidats se sont présentés, à savoir : un fonctionnaire d’Eurojust, enseignant à l’IEAP de Luxembourg, Constantin-Virgil Ivan-Cucu, un avocat et ancien vice-président du Conseil de la concurrence, Valentin Mircea , un juge ainsi qu’ un procureur à la Cour de cassation , respectivement Cristian Oana et Razvan Horatiu Radu, une avocate et professeure de droit, Mihaela Tofan, une juge du Tribunal du contentieux des Nations unies à la retraite, Alessandra Greceanu, un conseiller juridique à la BEI, Emilian Dima, un juge à la Cour d’appel de Bucarest, Dragos Alin Calin et enfin Octavia Spineanu-Matei qui n’est pas une inconnue à Luxembourg puisqu’elle est juge au Tribunal européen depuis 2016. Elle fait partie de ces innombrables juges qui, une fois nommés, aspirent à exercer leurs talents au sein de la juridiction suprême de l’UE, la Cour. Les 20 et 21 octobre, les candidats vont passer devant un conseil de sélection composé du ministre de la Justice et de deux de ses hauts fonctionnaires, de deux hauts magistrats, d’un membre du conseil supérieur de la magistrature et de deux professeurs d’université. L’heureux élu sera présenté au gouvernement. Comme pour tous les candidats de tous les pays de l’UE, viendra ensuite le passage devant le Comité européen dit 255 (article du TFUE), la nomination officielle par les 27 États-membres n’étant ensuite qu’une formalité. Si Octavia Spineanu- Matei l’emportait, la Roumanie devrait se mettre à la recherche d’un autre juge pour le Tribunal.

Le juge tchèque Jiri Malenovsky avait lui aussi créé la surprise lorsqu’il avait décidé de s’aligner sur le régime général des juges de son pays lesquels doivent prendre leur retraite à 70 ans. Selon la presse tchèque, son remplaçant est arrivé sans heurts ni discussions. Il s’agit de Jan Passer, un des deux juges tchèques au tribunal européen. Il a pris ses nouvelles fonctions à la Cour le 6 octobre dernier tout comme la Lettone, Ineta Ziemele, ancienne présidente de la Cour constitutionnelle de son pays. Elle remplace son compatriote Egils Levits qui a quitté la cour précipitamment en juin 2019 après avoir été nommé président de la République. Les lettons doivent encore trouver un magistrat européen au Tribunal puisqu’ils y ont là, comme tous les États membres, deux juges depuis 2016 et qu’Ingrida Labucka, installée depuis 2004, a quitté son poste « en douce », un beau jour de février de cette année. Un juge doit statutairement attendre l’arrivée de son remplaçant mais cette règle subit de nombreuses exceptions. De l’avis général, sur le dossier des nominations des juges, la Lettonie pêche par manque de transparence.

Pour en revenir aux Tchèques, ils ont été assez prompts à trouver un candidat en remplacement de Jan Passer. La presse locale semble tenir pour acquis le nom de son successeur, David Petrlík, juriste à l’agence du GSNN européen, l’organe qui gère les systèmes de radionavigation par satellites, dont le programme Galileo. Il a été choisi par un comité de sélection composé des présidents des cours suprêmes, de deux vice- ministres et de membres du barreau et du monde universitaire. La candidature de Robert Pelikan, ancien ministre et fils de, n’a pas été retenue (Land, 2.10.2020). Lors de leur arrivée dans l’UE, les pays de l’Est s’étaient dotés de procédures de sélection sophistiquées lesquelles, dans certains cas, n’évitent pas le petit coup de pouce de dernière minute à un candidat, mais qui font montre d’un désir de transparence que certains vieux pays de l’UE ne partagent pas. À noter qu’en 2024, l’autre moitié des 27 juges et des onze avocats généraux arriveront en fin de mandat ; qu’en 2022, la moitié des 54 juges du Tribunal verront le leur expirer et l’autre moitié, en 2025. Certains resteront mais pas tous, loin s’en faut. Il a déjà été beaucoup écrit sur les inconvénients de ce système qui, pour certains, n’assure pas aux deux juridictions européennes la stabilité qui devrait être la leur.

Dominique Seytre
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