Un vide à combler

d'Lëtzebuerger Land du 20.03.2020

J’avais une toute autre idée de sujet pour cette chronique. Et puis l’actualité a pris le dessus. Alors oui, j’aurais pu en effet en faire abstraction et évoquer ici quelque chose de plus léger, histoire de vous changer les idées, et moi-même, de penser à autre chose. Mais force est de constater que toutes mes inspirations m’ont semblé un peu « déplacées ». Parler par exemple de ma culpabilité à consommer encore de l’huile de palme à l’heure où on se bat pour un paquet de Penne Rigate, certains auraient pensé à de la provocation. Alors bon. Je vous écris depuis chez moi, depuis un appartement qui n’a jamais été aussi bien rangé, si ce n’est entre 8 et 20 heures, temps d’autonomie du petit humain d’un mètre qui partage désormais à temps complet mon quotidien. Un quotidien vidé de… beaucoup, pour le dire en un mot, mais qui n’a pourtant jamais été aussi rempli. Comme si j’avais eu absolument besoin de combler d’emblée ce soudain vide imposé.

En vrac, et depuis le week-end passé, j’ai donc, et je pense un peu comme tout le monde, ingurgité, écouté, observé un peu près tout ce qui passait dans les médias. Radio, télé, journaux, réseaux sociaux… et puis quand j’ai presque commencé à croire aux fake news conspirationnistes qui sont arrivées je ne sais comment sur mon fil d’actualité, je me suis dit qu’il était temps de passer à autre chose. Alors j’ai téléchargé TikTok. Cette application de partage de vidéos dont j’avoue ne toujours pas avoir compris le réel intérêt, mais qui a l’avantage d’être totalement chronophage et qui m’a permis de perdre deux bonnes heures quand même. Durant lesquelles j’ai tout de même pu constater que ce fichu virus était vraiment viral et que les vidéos qui lui étaient dédiées n’en finissaient plus, notamment celles illustrant les stocks invraisemblables réalisés par certains habitants du Luxembourg. Cohabitant visiblement à trente, avec une gastro, sous le même toit. Les pauvres.

Bon je vous rassure, depuis, mon cerveau a fini par se rebeller, mon corps a voulu s’activer. Déjà, j’ai repris le travail, ou du moins le télétravail : j’ai donc passé pas mal d’heures confinée dans mon bureau, en solitaire et en silence – les parents qui me liront comprendront. Le restant du temps, car il en reste finalement, quand on ne le perd pas dans la circulation, j’ai trié mon dressing, payé mes factures en retard, rangé tous mes papiers, changé mes fonds d’écran, sauvegardé mes photos de vacances, lavé mes draps, mes fenêtres, l’intérieur de mes placards de cuisine, classé mes vernis par couleurs, jeté tous ces stylos qui n’écrivent plus, vidé ma corbeille de mails, redécoré mon salon et puis, surtout, dessiné une multitudes de pirates et de cow boys, mimé mille et un combats de chevaliers, construit une cabane, initié plein de jeux – le roi du silence, mon préféré – lu je ne sais combien de contes et d’histoires de dinosaures… Tout ça en quelques jours. Bref, vous constaterez que je ne chôme pas. Aussi parce que, je l’avoue – pas de chance pour moi – j’avais déjà bingwatché toute la saison de Love is Blind sur Netflix bien avant ces récents évènements.

Tout ça pour dire qu’on peut trouver un peu de bon, à ce confinement. Je me sens moins coupable, que mon fils passe tant de temps à la crèche, plus légère aussi, délestée de ma To do list qui traînait depuis janvier 2019 sur mon bureau. Et comme de toute façon, il n’y a pas le choix, voyons tout cela comme une pause dans notre quotidien répétitif, dans ces journées que l’on passe tête baissée, à travailler, à râler, à culpabiliser. Et réjouissons-nous de ses retrouvailles à venir, avec notre vie d’avant. Faisons un peu comme les enfants, finalement. Qui s’émerveillent avec candeur de toutes ces petites choses auxquelles nous, on ne prête depuis longtemps plus attention. Qui prennent la vie comme elle vient, chaque matin, plein d’entrain pour la journée qui commence. Qui vivent l’instant présent, dédiant tout leur intérêt à leur activité du moment. Qui aiment pleinement, qui câlinent intensément, et qui se fâchent aussi, parce que les émotions, c’est ce qui nous rend vivant. J’ai envie de retrouver cette naïveté enfantine, à l’heure où il serait si simple de tomber dans un pessimisme anxiogène. J’ai envie de voir le positif et je vous avoue que ce n’est pas si difficile, de se laisser aller un peu. Surtout après quatre cocktails, mon partenaire de confinement s’étant donné pour mission de devenir expert en mixologie durant cette quarantaine. Selon moi, une vraie bonne initiative… et pour le bien-être de tous.

Salomé Jeko
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