Jeudi dernier, Lakshmi Mittal a daigné s’afficher à Luxembourg aux côtés du Premier ministre Xavier Bettel (DP). Le fondateur de l’empire éponyme de l’acier n’avait plus été vu depuis belle lurette au Grand-Duché, pourtant siège international d’ArcelorMittal. L’intéressé vit reclus dans sa luxueuse résidence de non-dom sur Kensington Palace Gardens que les Londoniens ont baptisé « Taj Mittal ». Les apparitions du magnat indien aux côtés du chef du gouvernement luxembourgeois, régulières celles-là, ont eu lieu ces dernières années à Davos, au sommet réunissant les grands de la planète business. La venue du multimilliardaire septuagénaire dans la capitale luxembourgeoise, accompagné de son fils Aditya, à la tête d’ArcelorMittal depuis 2021, tient à la pose de la première pierre du futur siège de l’entreprise. Voilà sept ans que le groupe international se fait désirer sur le plateau du Kirchberg.
En 2016, Xavier Bettel avait obtenu de Lakshmi que le géant bâti sur Arcelor en 2006 conserve son ancrage luxembourgeois. Le libéral avait préparé le terrain en 2014 en reprenant le château de l’Arbed devenu passoire énergétique (pour une centaine de millions d’euros). Puis s’est ouvert un marchandage opaque : engagement de l’État dans la recapitalisation de l’entreprise (65 millions d’euros), rachat d’une quinzaine d’hectares de friches à Esch, Pétange et Wiltz (pour combien ?), deux sièges au conseil d’administration du groupe (occupés par Michel Wurth et Etienne Schneider), vente d’un terrain au Kirchberg (bail emphytéotique de 75 ans) sans passer par la procédure d’offre publique. Le sidérurgiste pouvait amortir cette dernière acquisition, qui a couté 92 millions d’euros, en s’associant à un co-investisseur pour exploiter les quarante pour cent de la surface totale qu’ArcelorMittal et sa spin-off de l’acier inoxydable, Aperam, n’occuperont pas. Le dépôt en février, à la surprise générale, du projet de loi sur la participation de l’État au financement de la tour d’ArcelorMittal, K22, a laissé penser que le prix en avait repoussé plus d’un.
Le coût total de la construction payée pour moitié par de l’argent public s’élève à 547 millions d’euros, soit 15 000 euros le mètre carré de bâtiment administratif. Cinquante pour cent de plus que le prix qu’accepteraient les investisseurs du marché de bureaux dans le contexte actuel, selon un spécialiste (d’Land, 24.02.2023). « C’est extrêmement cher », s’étouffe Laurent Mosar (CSV), qui annonce que son parti votera contre le projet de loi de financement la semaine prochaine (si le texte est soumis). Sollicité par le Land, le ministère d’État louvoie quand il s’agit de désigner le ministre endossant la responsabilité des négociations. On aurait pu s’attendre à ce que Mittal offre une contrepartie d’intérêt public, par exemple une partie des treize hectares de friches d’ArcelorMittal à Dommeldange, dans la capitale, pour aider la politique du logement (d’Land, 18.09.2020).
Les dossiers travaux publics, tout comme ceux impliquant le Fonds d’urbanisation du Kirchberg, relèveraient de la responsabilité du ministre de la Mobilité et des Travaux publics, François Bausch (Déi Gréng), nous explique le cabinet du Premier ministre. « Le conseil de gouvernement a été saisi du dossier, comme ce dernier a différentes dimensions : politique économique, travaux publics et développement du plateau de Kirchberg, ou encore finances publiques, pour en avaliser la teneur générale et pour adopter l’avant-projet de loi de financement relative à l’investissement public dans ce projet », précise encore la porte-parole de Xavier Bettel. Avant de conclure : « L’État démontre ainsi son attachement à l’implantation luxembourgeoise du siège social mondial d’ArcelorMittal et aux facilités de production du groupe sidérurgique au Luxembourg. » Nous y voilà. L’empreinte industrielle d’ArcelorMittal au Grand-Duché s’étiole d’année en année. Mais le maintien de ses services administratifs et financiers revêt, lui, une importance stratégique. Avec le logement, le bien-être économique constitue le binôme des principales préoccupations de l’électorat luxembourgeois, nous dit le Polindex présenté cette semaine (lire ci-contre). Le mausolée en acier érigé au Kirchberg est à l’image d’un pays au service de la finance internationale et de la fonction publique.