« Ecrire, écrire, écrire… »

d'Lëtzebuerger Land vom 23.06.2023

La treizième édition du Fundamental Monodrama Festival s’est achevée le week-end dernier à la Banannefabrik où pendant dix jours il a donné à voir moult performances. Nous y étions samedi dernier pour une soirée qui restera longtemps en mémoire. En effet, nous y avons découvert en première mondiale une pépite : Après une longue Apnée de et avec le Congolais Julien Mabiala Bissila, mis en scène par le Nigérien Béto, complice de Steve Karier et de son festival depuis 2011, et coproduit par Fundamental et Forge Arts.

Après une longue Apnée est un texte fort et personnel, beau et subtil, poétique et humoristique, qui, au départ, n’a pas été pensé pour la scène. Ce récit autobiographique de Julien Mabiala Bissila, qui est auteur mais aussi comédien et metteur en scène, dit la nécessité d’écrire : « L’écriture vous fait revivre, elle vous donne quelque chose de vital ». Ce texte aux résonances plurielles, historiques et contemporaines, s’entend comme confidence, entre témoignage, essai critique et journal intime, pour celui qui, en 1997, a connu et fui la guerre civile qui a ravagé son pays, le Congo-Brazzaville. Une écriture qu’il dit lui-même cathartique et qui n’a été possible que des années plus tard, « après une longue apnée ». Car comment dire l’horreur de la guerre, nommer l’innommable, les massacres, les viols, les exactions, comment dire l’impuissance face à la barbarie et la culpabilité, comment revenir à la vie et se reconstruire ? « Écrire, écrire, écrire… », refaire le chemin vers ce passé traumatique pour témoigner, se raconter, dire pour ne pas oublier car « le silence est une torture ».

La parole prend une nouvelle dimension au plateau. Le comédien fait résonner les mots et donne du relief au récit. Julien Mabiala Bissila fait entendre des épisodes très intimes. Flashback. Nous sommes en 1997. Une foule est en route fuyant la guerre, les camps de réfugiés sont tenus par les Angolais, les cruels miliciens et les « ingénieurs du sang » commettent le pire. Partout des cadavres, des viols, le chaos, les populations qui ont faim, la prison à ciel ouvert, « la saison des obus » qui a démarré, le silence des médias, le train avec une centaine de soldats sur le toit, la longue marche vers la forêt, le couloir humanitaire... Les souvenirs rejaillissent, fragmentés, morcelés, déchirés. Julien Mabiala Bissila évoque ses rencontres sur le chemin de l’exode, Rosie et son fils, il repense à ses proches « ma mère c’est aussi les femmes que j’ai rencontrées », retrouve la case de sa grand-mère au retour à Brazzaville, raconte l’écriture de Crabe rouge, récit dédié aux disparus du Beach, évoque l’ami Alino, le besoin de vérité et la colère qui fait écrire.

Avec humilité et dignité, Julien Mabiala Bissila revient sur des moments douloureux et traumatiques, sur la jeune fille qui l’implore : « Tonton Julien, ne me laisse pas partir avec eux », lui, caché, impuissant face à « la ferraille de Monsieur Kalash ». Des mots qui resurgiront avec force et en boucle tout au long de ce spectacle poignant (le comédien retournant à la fin vers le fond de la scène, là où le récit a commencé). La mise en scène de Béto est simple et inspirée, sobre et juste, respectueuse du texte et du comédien. Julien Mabiala Bissila joue avec les mots et les silences, avance par étapes et avec nuances dans son récit, investit judicieusement l’espace scénique, s’approchant du public ou s’en éloignant, l’interpellant parfois tout comme il interpelle un musicien qui joue live.

Une belle économie de moyens est à l’œuvre dans un subtil jeu de lumières et dans une scénographie qui repose sur quelques objets bien choisis : deux lampes torches qui tracent un chemin imaginaire (spatial et temporel, réel et mental, nocturne et diurne), une petite table avec machine à écrire installée face au public et, sur le côté, une mini scène qui accueille le musicien. Landry Padonou, merveilleux multi-instrumentiste (clarinette, saxophone, flûte, voix…), ponctue habilement le récit de ses musiques et de ses sons alors qu’en bruit de fond on entend tout au long du spectacle les murmures de petits oiseaux.

Après une longue Apnée de Julien Mabiala Bissila/Béto, un récit de l’urgence, une parole essentielle, un spectacle remarquable et plein d’humanité qui fait réfléchir et grandir.

Monolabo

Le Fundamental Mondodrama Festival c’est aussi des Monolabos, works in progress et petites formes captées en cours de création par de jeunes artistes, parfois aussi moins jeunes. C’est le cas de Je ne suis pas douée pour le malheur de et avec Valérie Bodson, comédienne chevronnée, qui, en ouverture de son spectacle, a rappelé, non sans humour, qu’habituellement « le Monolabo est réservé à la jeunesse montante » mais qui a relevé le défi quand on lui a demandé de « se frotter à l’écriture ». Son écrit autobiographique revient sur quelques épisodes marquants, joyeux ou douloureux, de sa vie, le tout pimenté de belgitude et avec un accent hautement revendiqué. Un essai !

Karine Sitarz
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