Théâtre

Vouloir mourir mais…

Hervé Sogne, Aude-Laurence Biver et Raoul Schlechter
Foto: Bohumil Kostorhyz
d'Lëtzebuerger Land vom 09.06.2023

Pour clôturer sa saison théâtrale, le Théâtre Ouvert Luxembourg (TOL) propose 1h22 avant la fin de Matthieu Delaporte dans un mise en scène de Pauline Colletune, une comédie à l’humour noir sur le thème de la mort, une approche qui fait « oublier » le sujet, en le drapant dans des situations inattendues et drôles.

Bernard Léveillé, trentenaire, est décidé, pour échapper à son mal de vivre, à se suicider. Il veut en finir avec la vie en se jetant de la fenêtre du quatrième étage, sa vie dont il n’attend plus rien, lui pèse. «  Je suis une suite ininterrompue de gestes ratés. » Méticuleux, il prépare son départ, il arrange tout, appartement et papiers, quand on frappe à la porte : revolver au poing, un individu lui dit qu’il est venu pour le tuer. Drôle de rencontre entre celui qui veut mourir et celui qui veut donner la mort. Faire à sa place ce qu’il veut faire, ce qui en un sens l’arrange, car à cause de son vertige, il a peur de sauter.

Peu à peu, au cours de la conversation qui s’engage et qui parle aussi de la solitude, de l’isolation dans les immeubles des grandes villes, nous découvrons que celui qui veut se suicider et celui qui veut le tuer se ressemblent, des similitudes se dégagent. L’un veut en finir avec une vie insignifiante, l’autre veut tuer pour tromper son ennui ; mais leurs plans dévient à chaque fois, les deux tournent en rond et ne pensent plus à leur projet : se tuer ou tuer un autre. Pour détendre l’atmosphère, leur dialogue est parsemé de jeux de mots, de jonglages entre sens propre et sens figuré et de chansons populaires et de variété qui traduisent leurs divers états d’âme.

Un univers singulier, entre réalité et irréalité, prend lentement forme à travers la comédie absurde et drôle, qui doit beaucoup au talent du duo des comédiens : d’un côté, Raoul Schlechter qui excelle en Bertrand, un aimable perdant qui s’efface gentiment, de l’autre, Hervé Sogne qui en impose en tueur cynique qui, peu à peu, se dégonfle.

Malgré quelques longueurs (l’auteur doit respecter le compte à rebours de 1h22 avant la fin), l’affrontement initial entre tueur et victime, qui prend rapidement une tournure à l’amiable, suscite l’intérêt, ce qui est moins le cas par la suite, après le changement de décor – qui grâce à la scénographie assez astucieuse de Joanie Rancier se déroule sans heurt – quand on passe de l’appartement de Bernard à celui d’au-dessus, habité par Clémence, une locataire qui sombre dans la vie et veut se tuer au gaz.

Malgré le jeu très convaincant d’Aude-Laurence Biver dans le rôle de Clémence, le texte, à l’écriture incisive et au ton mordant de l’auteur Matthieu Delaporte, passe mal vers la fin, qui donne l’impression que l’auteur cherche un moyen, peu satisfaisant d’ailleurs, pour boucler l’intrigue, en suggérant qu’avec la voisine du dessus le bonheur est là, à portée de main. Les deux se ‘trouvent’ autour de la chanson L’amour en solitaire de Juliette Armanet. D’habitude l’auteur Matthieu Delaporte collabore avec Alexandre de La Patellière pour les textes dramatiques, entre autres le fameux Le prénom ou bien Le Dîner d’adieu, monté au TOL assez récemment ; pour 1h22 avant la fin, il s’est attelé seul à l’écriture et semble avoir quelque difficulté à boucler l’ensemble.

À la metteure en scène Pauline Collet incombe entre autres le rôle de respecter le déroulement de la comédie en 1h22, d’accentuer les situations drôles dans la direction d’acteurs et d’assurer, dans la mesure du possible, une unité et une cohésion au spectacle. Mission réussie, sauf pour le dernier point, où elle est liée par le texte qui a perdu un peu le souffle vers la fin. La mise en lumière de Manu Nourdin réussit à mettre en valeur plusieurs beaux tableaux en en relevant la signification.

1h22 avant la fin, un spectacle ironique et drôle, qui manque quelque peu de rythme et de structure dramatique mais est bien mis en scène et ce qui plaît surtout, c’est le jeu des comédiens.

Au TOL les 9, 15, 16, 17, 20, 21, 28, 29 et 30 juin à 20h00

Josée Zeimes
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