On se souvient tous du cours d’histoire où l’on nous expliqua que nos lointains aïeux vivaient avec leur bétail sous un même toit pour profiter de leur chaleur. On peut facilement s’imaginer l’odeur mélangée de bouc et d’ammoniac qui faisait que nos ancêtres ne devaient pas souffrir de sinusites.
L’idée de récupérer la chaleur des animaux n’est donc pas nouvelle et le principe de produire du biogaz à partir de leurs excréments en est la suite logique. Certains peuples se chauffent toujours avec de la bouse séchée.
Jusqu’à présent, les agriculteurs ont réparti ces déjections sur leurs terrains pour en assurer une meilleure fertilisation – au grand dam des voisins qui n’ont d’autre choix que de se cloîtrer chez eux en attendant que l’odeur nauséabonde ne se dissipe. Plus grave encore que la gêne olfactive passagère est la contamination des nappes phréatiques par les nitrates. Une aubaine pour les producteurs de boissons en bouteille, l’eau du robinet étant devenue quasiment impropre à la consommation dans les régions rurales.
Progressivement, le Grand-Duché s’est engagé sur la voie du recyclage, avec à la clé l’introduction d’une technologie servant à fermenter le lisier, le fumier, des déchets organiques et des plantes énergétiques à température constante autour des cinquante degrés. La récupération du gaz ainsi produit – soixante pour cent de méthane, 28 pour cent de dioxyde de carbone et deux pour cent d’autres gaz – permet d’alimenter une centrale de cogénération pour produire de l’électricité et de la chaleur.
Le résidu peut être réutilisé comme engrais. Il présente même les avantages d’être pratiquement débarrassé de son odeur désagréable, de se faire absorber plus facilement par les plantes car sans acidité due à l’ammoniac et de ne plus polluer autant les réserves d’eau. C’est donc une alternative intéressante et économique par rapport aux engrais chimiques.
Une idée simple qui a mis du temps à faire son chemin. Au Grand-Duché, l’énergie fossile est encore trop bon marché pour être concurrencée sérieusement. Et la volonté politique n’y était pas pendant longtemps. On préférait adopter une attitude attentiste. Le ministre de l’Agriculture a concédé depuis peu à relever le plafond des subventions pouvant être accordées.
Ainsi, soixante pour cent du prix d’une installation de biométhanisation sont subventionnés par l’État, à raison de 525 000 euros maximum. Mais il faut savoir que ce seuil est fixé pour tous types d’investissements effectués par un agriculteur entre l’an 2000 et 2007 (seuil ramené à 375 000 euros en l’absence d’investissement dans le biogaz), ce qui fait que les agriculteurs ne réservent souvent qu’une petite part de ce montant à une éventuelle installation biogaz, tandis que le reste sera investi dans des étables, des machines etc.
Pour limiter les risques, 75 producteurs en tout se sont jusqu’à présent regroupés pour mettre sur pied de grands projets collectifs. La centrale de biométhanisation de Redange/ Attert en est le projet phare avec 29 agriculteurs des communes de Redange, Ell et Rambrouch, regroupés dans la coopérative « Biogas un der Atert ». Elle a été inaugurée en novembre 2003 et sert à transformer chaque année 27 700 m3 de lisier et de 14 300 tonnes de fumier, avec un apport de plantes énergétiques comme des betteraves ou du maïs plantées sur 70 hectares. La commune de Redange pourra aussi y faire traiter ses déchets ménagers – 4 000 tonnes par an.
Le résultat : 5 800 m3 de biogaz par jour, 4 558 163 kWh d’électricité et 5 600 029 kWh de chaleur. L’électricité est reprise par l’entreprise Cegedel, tandis que l’énergie thermique sert à chauffer la piscine avoisinante, le complexe sportif et bientôt le nouveau lycée.
Le coût : cinq millions d’euros. Les communes de Kehlen et de Heiderscheid sont en train de vérifier l’opportunité d’une installation en propre.
Le risque financier est quasi nul, du personnel s’occupe du maintien de l’installation, les agriculteurs peuvent quasiment attendre les bénéfices les bras croisés. Il leur suffit de fournir le produit de base. C’est sans doute la raison pour laquelle ils hésitent à s’investir dans un projet individuel, même si l’apport financier des quarante pour cent non subventionnés n’est que de quelque 200 000 euros dans le cas d’une installation individuelle. Une broutille, si l’on considère les énormes sommes investies dans le matériel agricole. « On a tendance à calculer d’une autre manière quand il s’agit de biogaz, c’est un peu regrettable qu’il n’y ait que quatorze agriculteurs à se lancer seuls dans l’aventure, » déplore Jean Schummer, le gérant de l’entreprise L.e.e., active dans la planification, la réalisation et la gestion des installations de biométhanisation.
Il faut compter dix ans avant de rentabiliser l’installation, ce qui n’est pas non plus une éternité. Mais les agriculteurs hésitent aussi à se lancer dans un autre métier, de « cultivateur d’énergie ». « Il faut s’occuper en permanence des installations techniques, précise Jean Schummer, l’idéal c’est de lâcher les activités ‘traditionnelles’ pour se consacrer quasi exclusivement à la production d’énergie. » Pour optimiser la rentabilité des installations individuelles, le cultivateur doit diversifier ses biomasses, chercher à reprendre des déchets ménagers ou de la restauration, conclure des contrats avec les communes et les syndicats pour qu’ils leur livrent des déchets de jardin.
Un des inconvénients de la production de biogaz est donc le travail nécessaire pour faire tourner la machine. C’est différent de la photovoltaïque, dont les panneaux n’ont qu’à être installés, le reste se faisant lui-même. Mais l’avantage, c’est que la production d’énergie est régulable, un aspect intéressant car, à part l’énergie hydroélectrique, c’est la seule qui puisse être stockable et employée à la demande.
Un désavantage de la politique luxembourgeoise est son système de subsides. Selon Jean Schummer, les montants impressionnants à la disposition des investisseurs chauffent artificiellement les prix : « Les installations ont tendance à être surdimensionnées dès le départ et la moitié des incitants financiers sont absorbés par les entreprises de montage. Cela a un effet pervers parce que le coût final est décourageant. »
Les mêmes installations coûtent plus cher au Luxembourg qu’en Allemagne par exemple. Elles sont installées clé en main et l’électricité rapporte 0,1024 euros par kWh. C’est peu, si l’on considère que la loi allemande EEG (Erneuerbare-Energien-Gesetz) permet de doubler le prix de l’énergie du biogaz – une alternative sans doute plus motivante que le simple incitant financier pour l’installation.
D’autre part, le système de cogénération n’a de sens que s’il y a un repreneur de chaleur dans la région. Pour les installations individuelles, elle sert à réchauffer la ferme par exemple. C’est la raison pour laquelle d’autres techniques ont été élaborées pour raffiner le gaz et obtenir un produit d’une qualité supérieure, à l’instar du gaz naturel. D’autres procédés visent à en faire du carburant. La Suède et le Danemark par exemple, se sont lancés sur cette voie. Une décision politique, assortie de l’initiative d’exonérer le biocarburant des taxes.
Au Grand-Duché, la production de biogaz raffiné pourrait devenir une réalité. La faisabilité et la rentabilité du raffinage du biogaz à Kehlen, une commune pourvue d’un réseau de gaz naturel existant, est actuellement à l’étude. Le résultat de l’étude tombera à la fin de l’année.
Martin Ebner
Catégories: Énergie
Édition: 16.09.2004