« Attendez pour faire une photo », demande la photographe aux néo-citoyens luxembourgeois qui arrivent au Teatro Governador Pedro Ivo, à Florianópolis, ce samedi matin. La bannière aux couleurs du Luxembourg et du Brésil exposée dans l’entrée sert de cadre aux photos officielles et à de nombreux selfies. 460 personnes se pressent à l’événement organisé par l’ACLUX, l’Association des Citoyens Luxembourgeois au Brésil, dans la capitale de l’État de Santa Catarina, où vit une grande partie des Brésiliens-luxembourgeois. La réunion consiste à présenter les partis en lice pour les élections législatives et à expliquer le processus électoral luxembourgeois. Beaucoup savent qu’ils peuvent voter, mais beaucoup ignorent aussi que deux élections se tiennent cette année au Grand-Duché.
Volnei Nicodem, 41 ans, responsable administratif, a obtenu sa nationalité luxembourgeoise en 2019. « Le processus a été très rapide. Cela a pris plus ou moins un an », raconte-t-il. Ses racines européennes remontent à six générations. L’un des vestiges de cet héritage est la langue allemande, qu’il a apprise à la maison avec son père et qui s’est transmise de génération en génération. « C’est un dialecte qui ressemble au luxembourgeois », ajoute-t-il. Il ne savait pas qu’il y avait des élections cette année au Grand-Duché, mais il souhaite maintenant exercer son droit de vote. Volnei Nicodem caresse le rêve lointain d’utiliser, un jour, son passeport européen pour vivre en Suisse. Un rêve que son frère, Frank Nicodem, 37 ans, gérant d’une d’école, réalisera cette année. En mai, il s’embarque avec sa femme et ses deux enfants pour le Luxembourg avec des billets aller simple. « Je parle allemand, un peu anglais et j’apprends le français. À l’avenir, je veux travailler dans le secteur bancaire », témoigne-t-il.
La famille Nicodem est l’une des 566 membres de l’ACLUX, une association créée en 2019 lorsque le nombre de demandes brésiliennes de recouvrement de la citoyenneté luxembourgeoise a explosé. L’association a été créée dans l’intention de fournir aux nouveaux citoyens des informations sur leurs droits et leurs devoirs, mais aussi sur les aspects linguistiques et culturels du Grand-Duché. Pour devenir membre, il faut s’acquitter d’une cotisation annuelle de cent réaux brésiliens (environ seize euros). Doté d’un statut propre, l’ACLUX élit tous les deux ans les membres du conseil d’administration. En général, elle est composée de citoyens ayant une vie bien établie au Brésil, tels que des avocats, des médecins, des fonctionnaires, des politiciens, des retraités. Ils voient dans leur passeport luxembourgeois la fierté d’avoir retrouvé l’histoire de leur famille. Giseli Junckes, par exemple, est venue à l’événement les ongles peints aux couleurs du drapeau luxembourgeois. Mais elle n’a pas l’intention de vivre en Europe : « Je suis fonctionnaire, je n’ai aucune raison de quitter le Brésil, mais je pense que cela pourrait être une opportunité pour ma fille dans le futur », réfléchit-elle.
Organisée et volontaire, l’ACLUX a rencontré quelques succès au cours de sa brève histoire. Par exemple, l’autorisation par le gouvernement luxembourgeois de traduire le premier module du cours « Vivre Ensemble » en portugais-brésilien et la signature d’un accord de coopération avec la même association en Argentine. Cependant, rien n’est comparable à l’exploit de samedi dernier : Convaincre des politiques et des autorités luxembourgeoises - en pleine période d’élections municipales - de prendre trois avions pour un voyage d’environ 24 heures vers le sud du Brésil. Un dicton souvent utilisé par les Brésiliens pour garder espoir dit que « la foi déplace des montagnes ». Apparemment les voix aussi.
À des milliers de kilomètres de la Gëlle Fra, le plus grand pays d’Amérique latine compte plus de citoyens luxembourgeois que l’Allemagne voisine. Fin 2022, 19 939 citoyens luxembourgeois vivaient au Brésil, selon le Registre national des personnes physiques du Luxembourg. Ces chiffres sont présentés par Daniel Atz, un Américano-Luxembourgeois qui promeut le recouvrement de la citoyenneté pour les Brésiliens et les Américains. Il est l’un des orateurs de l’événement de ce samedi, chargé d’expliquer au public le fonctionnement du processus électoral luxembourgeois. Daniel Atz montre une image du bulletin de vote au public, habitué à des élections cent pour cent informatisées depuis 2000. Il explique les deux options de vote (par liste ou par candidat) et rappelle les dates limites. Les Brésiliens-Luxembourgeois sont inscrits dans la circonscription du centre et auront donc droit à 21 voix. La période d’inscription pour demander le bulletin de vote s’achève le 29 août. L’acheminer au Brésil requiert environ dix jours. Pour que les enveloppes reviennent au Luxembourg avant 17 heures le 6 octobre, Daniel conseille aux électeurs de les envoyer par DHL dans les derniers jours de septembre. D’après le site web de DHL, l’envoi d’une enveloppe de Florianópolis à Luxembourg-Ville peut coûter environ 350 R$ (environ 64 euros). Outre le coût, une copie du passeport peut être exigée pour voter et certaines personnes ayant obtenu la nationalité luxembourgeoise attendent toujours que leur passeport soit délivré. Pour Daniel Atz, la loi luxembourgeoise n’est pas claire à ce sujet et c’est une question que les politiciens doivent résoudre. Il est en tout cas difficile de savoir si ces citoyens à double nationalité voteront réellement.
Barbara Grein, jardinière paysagiste de 38 ans, a découvert les élections grâce à ACLUX. Elle s’est réveillée à trois heures du matin et est venue en bus charter d’une ville de campagne du Paraná, à 315 km de Florianopolis, pour en savoir plus sur le Luxembourg. Elle affirme cependant : « Je ne voterai pas. Cela n’a aucun sens pour moi. Je ne vis pas là-bas. » Flávio Belli, 48 ans, n’est pas d’accord : « Les Brésiliens qui vivent à l’étranger peuvent voter. En tant que citoyens, c’est un droit que nous avons », déclare-t-il. Même dans l’incertitude, Liz Braz (LSAP), Djuna Bernard (Déi Gréng), Isabel Wiseler (CSV), Frédéric Becker (ADR), Sven Clement et Mathis Godefroid (Piraten) n’ont pas craché sur la chance d’obtenir ces voix supplémentaires. Déi Lénk ont décliné l’invitation parce qu’ils jugeaient le voyage trop cher. Ils ont certainement perdu la partie. Le parti de la gauche n’est pas cité une fois sur les huit heures qu’ont duré l’événement. Le parti démocrate, quant à lui, a un peu plus de chance. Le DP a décliné l’invitation pour des raisons environnementales, mais il a réussi à obtenir quelques minutes de visibilité à l’ouverture de l’événement. Apparaît ainsi sur l’écran géant le Premier ministre, Xavier Bettel. S’excusant de ne pas être présent et pour donner de la cohérence à la justification de son absence, il met l’accent sur la crise climatique. Le libéral parle également de l’importance de continuer à soutenir l’Ukraine. Il plaisante sur le fait qu’il n’est jamais allé au Brésil : lorsqu’il s’apprêtait à venir à l’invitation de la présidente Dilma Rousseff, celle-ci a été destituée. Souriant, M. Bettel félicite les néo-Luxembourgeois d’avoir retrouvé leur citoyenneté et se dit fier que, grâce à eux, les Luxembourgeois soient désormais plus grands.
L’heure de l’attaque
L’ordre d’apparition des partis a été défini par tirage au sort. Tous présentent des slides traduits en portugais. Cela facilite la compréhension de l’audience qui bénéficie de la traduction simultanée. Sauf pour Isabel Wiseler-Lima. L’élue CSV s’exprime en portugais avec un accent lusophone. Le premier à s’exprimer a été Frédéric Becker. Le représentant de l’ADR se montre respectueux, mais ne semble pas très motivé. (Il n’utilise d’ailleurs pas tout le temps dont il dispose.) Il explique que son parti est conservateur, mais qu’il a des courants différents. Il se dit impressionné par l’hospitalité et tente de s’identifier au public en mentionnant le fait qu’il a également obtenu la nationalité luxembourgeoise récemment, en 2017. Il souligne sa carrière dans l’armée allemande et parle de valeurs, telles que la promotion de la famille et de la religion.
La jeune Liz Braz (LSAP) est la deuxième à se présenter. Lors d’un événement où le vocabulaire brésilien des étrangers se limite à bom dia et obrigado, Liz Braz surprend tout le monde en prononçant son discours en portugais. L’un des organisateurs de l’événement fait remarquer que Liz Braz a refusé de dîner la veille pour se consacrer à sa présentation. Cela en vaut la peine ! Elle gagne la sympathie du public et est très applaudie. Sur son profil Instagram au début de son séjour, Liz Braz a montré peu d’enthousiasme. Pendant la présentation, Liz Braz explique que les réunions qu’elle avait eues la veille lui ont permis de comprendre cette nouvelle relation entre les deux pays et qu’elle a hâte de rentrer au Luxembourg et de sensibiliser ses collègues de parti à la fierté de la citoyenneté luxembourgeoise au Brésil. Elle raconte en outre qui est son père (Félix) et l’histoire de sa famille d’immigrés portugais qui sont allés tenter leur chance au Grand-Duché. Son camarade de parti le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, qui se trouve au même moment au Chili, a envoyé une vidéo : « Nous sommes reconnaissants au Brésil d’avoir ouvert ses portes et nous vous rendrons la pareille, même si c’est plus d’un siècle et demi plus tard », s’engage t-il. Liz Braz souligne que son parti est bien établi, qu’il est partenaire de diverses coalitions et qu’il investit dans cinq piliers : le logement, l’économie et le climat, la santé, l’éducation, le travail et les affaires sociales. À la fin de la présentation, quand Liz Braz quitte la scène, l’une des participantes la prévient poliment : « Peut-être que vous ne repartirez pas avec beaucoup de voix d’ici », en référence à l’idéologie socialiste du parti. Santa Catarina est l’un des États où le président élu Lula, du Parti des travailleurs, a reçu le moins de voix. Près de 70 pour cent des électeurs de Santa Catarina ont voté pour Bolsonaro.
La troisième candidate à s’aligner, Djuna Bernard (Dei Gréng) sera candidate dans le centre et pourra être élue directement par les néo-Luxembourgeois qui l’ont rencontrée ici en personne. Djuna Bernard est déjà venue à Florianópolis en tant que scout, mais elle n’imaginait pas qu’elle y reviendrait une dizaine d’années plus tard. Elle parle ainsi de l’histoire de son parti et de l’esprit pionnier qui l’anime pour attirer l’attention sur la question du climat. Lorsqu’elle déclare vouloir réformer le système fiscal luxembourgeois, lequel favorise les inégalités, elle est applaudie. Elle termine en se disant surprise que l’auditorium soit plein et que la plupart du temps, elle ne voit pas le même intérêt de la part des Luxembourgeois. Isabel Wiseler-Lima monte sur scène l’après-midi pour présenter le CSV, le plus grand parti d’opposition au Parlement. En portugais, elle explique que l’histoire du parti est étroitement liée à celle du pays. Dans le passé, il aurait été plus conservateur et lié à l’Église, et peu à peu, le CSV serait devenu plus social. Isabel Wiseler-Lima rappelle la diversité qui existe au Luxembourg et qu’il n’est pas toujours facile de vivre ensemble. Elle précise la volonté du parti de revenir au pouvoir en octobre. Son mari, Claude Wiseler, qui sera candidat à dans le centre, fait une brève apparition en ligne. Il partage qu’il est impressionné de voir la salle pleine et qu’il regrette de ne pas être venu.
Alors que les estomacs gargouillent déjà, les Pirates, Sven Clement et Mathis Godefroid, tous deux candidats dans le centre, entrent en scène. Sven Clement esquive la faim et la somnolence du public en parlant de ce qu’il voulait entendre : moins d’idéologie et plus de propositions intéressantes pour les nouveaux Luxembourgeois, comme la reconnaissance des diplômes, des cours de luxembourgeois gratuits, la création d’un consulat itinérant pour la fabrication des passeports, la facilitation du vote à distance, entre autres. L’ingéniosité ne vient pas seulement de l’éloquence, mais aussi de la proximité construite avec Santa Catarina depuis 2021. C’est la troisième visite de Sven Clement à Santa Catarina. Il rappelle ainsi qu’il n’existe pas de Luxembourgeois de seconde zone et que son parti s’est battu pour prolonger le délai de réintégration dans la nationalité lors de la pandémie de Covid-19.
Adoptée par le Parlement en 2008, personne n’aurait pu imaginer la popularité internationale de la loi sur la nationalité. À l’époque, le ministre de la justice, Luc Frieden (CSV), avait inscrit dans le projet de loi la possibilité pour les descendants d’un ancêtre luxembourgeois de recouvrer la nationalité à condition de pouvoir prouver l’existence d’un ancêtre direct luxembourgeois en 1900. Le délai de dépôt devait arriver à échéance le 31 décembre 2018, mais il a depuis été prolongé à plusieurs reprises et reste ouvert jusqu’au 31 décembre 2025.
Une longue journée
Visiblement fatigués, après le déjeuner et une présentation culturelle, les représentants des partis remontent sur scène pour une table ronde avec les membres du conseil d’administration d’ACLUX. C’est le moment de parler des besoins et des souhaits des nouveaux citoyens luxembourgeois. Sven Clement ne manque pas l’occasion de s’exprimer, tandis que Frédéric Becker semble écouter de la musique dans son casque de traduction, tant il est distrait. Les autres candidats montrent un certain manque de maîtrise sur des sujets tels que la reconnaissance des diplômes, les négociations économiques, les échanges culturels et l’intégration. Concernant les médecins néo-Luxembourgeois qui tentent de valider leur diplôme alors que le Grand-Duché manque de professionnels, Liz Braz promet de porter le message à la ministre de la Santé, Paulette Lenert, du même parti. Isabel Wiseler remarque que l’insertion sur le marché du travail, quel que soit le domaine, se heurte à la langue. « Il n’est pas possible pour une personne qui travaille avec le public de ne parler qu’une seule langue », dit-elle. En ce qui concerne les affaires bilatérales, les candidats rappellent que le Luxembourg fait partie de l’Union Européenne et que ce n’est pas quelque chose qui peut se faire du jour au lendemain. Sven Clement répond que des relations d’affaires existent déjà et que seules les barrières douanières et sanitaires doivent être respectées.
L’une des principales plaintes formulées par ACLUX est que les Brésiliens-Luxembourgeois arrivent dans le pays en tant que citoyens, mais qu’ils sont aussi des immigrés, et que les programmes de qualification et d’intégration des immigrés ne s’appliquent pas à eux. Même sans réponse concrète, les néo-Luxembourgeois sortent gagnants de cette rencontre. « Nous avons un très long chemin devant nous. Nous ne voterons pas forcément cette année. C’est très nouveau pour nous et pour eux. Notre objectif principal est de créer ce lien, cette connexion avec les autorités luxembourgeoises et nous y sommes parvenus. C’était très positif. De nombreuses portes vont s’ouvrir », confie le président de l’ACLUX, Valberto May dans un entretien. Il déclare également que l’ACLUX ne peut se prononcer en faveur d’un parti. « Si un membre du conseil d’administration souhaite soutenir un candidat ou un parti, il doit se retirer temporairement de l’entité », ajoute-t-il. À sept mois des élections, le défi consiste à maintenir la relation chaleureuse avec les politiques luxembourgeois et trouver des nouveaux électeurs motivés. À la fin de l’événement, à 17 heures, la salle n’est plus aussi remplie. De nombreuses photos prises à l’arrivée restent accrochées au mur.
Au landemain de la conférence, les élus luxembourgeois ont été invités à planter un arbre dans un parc de Florianópolis.Il a été offert par ACLUX. Il s’agit une espèce originaire des régions montagneuses du canton de Santa Catarina. Se pose la question de savoir si l’arbre survivra dans ces conditions. Interrogés par le Land, deux botanistes informent que ses chances de survie augmenteront s’il bénéficie de soins spéciaux. Peut-être une allégorie.