Musique live

Les liens du son

d'Lëtzebuerger Land vom 26.05.2023

C’est un défi sacrément prometteur et diablement risqué. Celui de rendre un hommage musical à son père, et d’autant plus lorsque ce père est un des derniers monstres sacrés du cinéma américain. Kyle Eastwood, compositeur et bassiste de jazz de son état, s’est allié à Gast Waltzing, grand manitou de la musique autochtone, pour mettre au point Eastwood Symphonic. Le projet consiste en la sélection d’un florilège des bandes originales des films de et avec Clint Eastwood, interprétés par le quintet de Kyle Eastwood et par un orchestre philharmonique. Rien que ça. À noter que ce dernier est un habitué du principe de reprise, il avait déjà réarrangé ses musiques de films préférées dans son album Cinematic (2019). Eastwood Symphonic a été présenté en octobre dernier au festival Nancy Jazz Pulsations. Le spectacle est en tournée européenne jusqu’en 2024 et passe par le Grand-Duché.

En ce mercredi 17 mai au soir, le parvis de la philharmonie fourmille. C’est un jour de fête. Le Grand Auditorium fait salle comble. Les musiciennes et musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Luxembourg (OPL) attendent la fermeture des portes et l’arrivée sur scène des instigateurs du projet. Kyle Eastwood est à la basse, Quentin Collins à la trompette, Brandon Allen au saxophone, Andrew McCormack au piano, Chris Higginbottom à la batterie et Gast Waltzing donc, à la baguette. Le concert est introduit par une vidéo de présentation où les Eastwood père et fils souhaitent la bienvenue au public.

Le premier morceau est un medley aguicheur des compositions qui vont suivre. Les bandes originales revisitées de Magnum Force et de l’Inspecteur Harry (qu’on ne reconnait pas malgré toute la volonté du monde) s’enchainent tambour battant. On (re)découvre ensuite le thème phare de la Sanction. Une pépite assez méconnue composée par John Williams mais qui traîne ici en longueur. Les morceaux sont entrecoupés par des vignettes enregistrées où les Eastwood, unis par les liens du sang et du son, délivrent des anecdotes qui provoquent des rires et des applaudissements nourris. Ils expliquent notamment comment Lennie Niehaus a numérisé et réorchestré des prises originales de Charlie Parker pour la bande son de Bird. S’ensuit un vibrant hommage au légendaire saxophoniste où l’OPL se met en retrait et où chaque membre du quintet brille par un solo décapant.

On regrette l’absence des magnifiques bandes originales de Mystic River et de Million Dollar Baby, dont l’ampleur commune pouvait se prêter à l’exercice. En contrepartie, l’orchestre nous envoûte avec de superbes réinterprétations des thèmes d’Impitoyable et de Gran Torino. On salue encore le panache apporté au thème des Lettres d’Iwo Jima. Dans la dernière vidéo de transition, Clint Eastwood souligne l’importance des bruitages dans le thème principal du premier western de Sergio Leone, Pour une poignée de dollars, point de départ de sa riche carrière. On y entend des coups de feu et de fouet, des cloches et des sifflements. Le nouvel arrangement présenté gomme tous ces éléments pour en faire une pièce lisse comme le parquet de la scène. C’est à n’y rien comprendre. Eastwood Symphonic n’émeut pas, mais nous pousse à retourner fissa nous replonger dans la filmographie du grand Clint. Pour le reste, un disque est à paraître en septembre prochain et le spectacle sera de passage au Grand-Rex à Paris le 11 octobre.

Kévin Kroczek
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