En 1950, quelques mois avant son décès, l’ancien homme d’État, député et juge de paix Pierre Prüm (1886-1950) était le dernier habitant du Château de Clervaux. Il ne pouvait pas se douter alors que sa propriété, gravement endommagée par les bombardements de l’offensive Rundtstedt, allait devenir le siège d’une exposition inscrite au registre de la Mémoire du monde de l’Unesco. Mais de toute façon, Pierre Prüm ne faisait plus vraiment partie de la grande famille des hommes, dont son contemporain Edward Steichen a fait les louanges optimistes dans son choix des 503 photos exposées à ce jour dans le Château rénové. En fait, Prüm ne faisait même plus partie de la petite famille des Luxembourgeois, puisqu’il avait été condamné pour faits de collaboration avec l’occupant durant le deuxième conflit mondial. Mais c’était bien lui qui a fait donation du Château à l’État luxembourgeois, rendant ainsi possible une installation précaire et incomplète de l’opus magnum de Steichen à Clervaux en 1975.
Depuis une semaine, cette dernière édition complète de l’exposition itinérante, qui a fait le tour du monde entre 1955 et 1962, est exposée dans une architecture entièrement repensée pour accueillir la version complète d’une Family of Man dont Steichen a voulu faire un message universel de paix et de fraternité. Dans cette masse de tirages photographiques de tailles différentes, allant du format carte postale à l’image monumentale, une seule photo n’est pas authentique. En effet, le minuscule portrait de Marie Kemp-Steichen, fait par son fils Edward, a été subtilisé pendant les années 1970 par un ingrat qui avait mal interprété le message de partage universel de Steichen.
Le Centre national de l’audiovisuel, dont la genèse et l’histoire sont étroitement liées à la mise en valeur et la conservation de la Family of Man, avait initié la sauvegarde et la restauration des panneaux photographiques malmenés par des transports multiples. Mais même après une première phase de restauration des panneaux, effectuée au début des années 1990, la version complète de la Family of Man n’a pas pu être montrée au Château de Clervaux. Pour des raisons de manque de place, sept photos du parcours d’exposition original n’avaient pas pu être montrées entre 1994 et 2010. Après une deuxième période de restaurations, ces images, dont toute une série impressionnante sur le thème des industries sidérurgiques, sont à nouveau visibles.
Mais l’idée de transformer un château médiéval en musée a nécessité une réorganisation complète du site. Le deuxième accrochage de 1994 a marqué une étape essentielle dans la présentation de ces tirages collées sur panneaux de bois, extrêmement sensibles aux changements de température et à l’humidité. Pendant les trois dernières années, la partie gauche du château a été entièrement transformée, pour accueillir de nouvelles galeries, mais aussi une bibliothèque et un museum-shop qui a triplé sa taille. En tout, 80 mètres carrés ont pu être rajoutés à la surface d’une exposition dont l’itinéraire était fixé depuis 1955.
Mais l’exposition originale avait été conçue pour être montée sur une surface plane, même si Edward Steichen était conscient qu’en faisant voyager sa famille des hommes, la structure de son montage ne pourrait pas être identique sur les nombreux sites à l’étranger, à son projet initial du Moma. Jean Back, directeur du CNA, aime à le répéter : « Toute exposition est une construction ». Mais les combles du Château de Clervaux n’avaient jamais été utilisés depuis sa reconstruction après la deuxième guerre mondiale. Les planchers de ces espaces ont été renforcés grâce à une structure métallique qui fait fonction de squelette à cet ensemble de 1 000 mètres carrés de cloisons d’exposition. L’aspect général de cette transformation orchestrée par le Service des sites et monuments en synergie avec le CNA et conçue par le bureau d’études Njoy est marqué par le corian. Ce matériau composite, déposé par DuPont en 1967, a permis une présentation des photographies sur un fond uniforme, lisse et sans trames ou autres structures apparentes, ce que Patrick Sanavia, directeur des SSMN, considère comme étant essentiel pour une muséographie contemporaine. À côté de cette nouvelle muséographie, le flux des visiteurs à travers l’exposition a pu être nettement amélioré et l’ancienne entrée, qui formait une sorte d’étau, n’est plus que la sortie de l’itinéraire de la visite.
La nouvelle exposition de la Family of Man se présente comme un parcours des découvertes d’une suite photographique savamment orchestrée et qui, malgré son âge, a gardé une partie importante de son effet spectaculaire. La discrétion du réaménagement intérieur de Njoy, ainsi que l’accrochage, très respectueux de l’original et réalisé par les équipes du CNA en font un parcours à travers une histoire de la photographie d’après-guerre aussi fascinante qu’étrange. L’exposition actuelle garde le catalogue classique du Moma de l’exposition de 1955 et réédité sans cesse depuis, mais un guide individuel est disponible sur tablette électronique à l’entrée du musée et se décline sur plusieurs chapitres, dont des interviews qui permettent une information approfondie de l’histoire et du contexte de cet ensemble.