Quand petites start-ups et grands groupes coopèrent

David et Goliath revisités

d'Lëtzebuerger Land vom 28.10.2016

Ah, si Goliath avait coopéré, il n’aurait certainement pas fini par terre une pierre entre les deux yeux ! Ceci étant dit, après toutes ses précédentes victoires, il ne pensait pas qu’il avait intérêt à discuter avec ce jeune berger chétif. Mais, David possédait – ce que l’on nommerait aujourd’hui avec un beau jargon d’économiste – un « actif » qui lui donnait un avantage concurrentiel. Cet actif se composait d’une fronde qu’il maniait tous les jours.

Les grands groupes et les start-ups ne peuvent pas passer les uns à côté des autres et ignorer leurs actifs réciproques. Si cela semble évident a priori, lorsqu’il s’agit de coopérer, force est d’admettre que ce n’est pas toujours gagné d’avance. En effet, au niveau européen, près de quarante pour cent des coopérations entre petites et grandes entreprises échouent. Ceci semble étrange puisque 70 pour cent des start-ups pensent qu’un tel rapprochement est nécessaire et 83 pour cent des grands groupes estiment la coopération avec des start-ups comme un élément stratégique, comme l’ont montré les auteurs de l’étude Matchmaker Ventures. En somme, David et Goliath veulent travailler ensemble mais ils n’y arrivent pas vraiment.

Plus exactement dans les secteurs hautement technologiques, dans lesquels bon nombre de start-ups naviguent, l’augmentation des coûts liés à la recherche et au développement, les incertitudes liées à l’évolution rapide des technologies, et les difficultés de maintien de l’expertise dans plusieurs domaines technologiques sont parmi les raisons les plus citées qui poussent les entreprises à rechercher des partenaires (Granstrand et Sjolander, 1990). En coopérant, tous espèrent acquérir de nouveaux savoirs et des compétences supplémentaires. Les firmes peuvent vouloir générer de nouvelles opportunités, chose essentielle et vitale notamment pour les entreprises des secteurs hautement technologiques. En effet, ces secteurs évoluent très rapidement. Générer de l’innovation devient primordial pour la survie des entreprises qui espèrent, en combinant des compétences technologiques avec d’autres entreprises, créer un nouveau produit ou service. Ainsi la recherche d’intégration de nouveaux savoirs est monnaie courante dans ces types de secteurs.

Et ce sont à la fois les grandes comme les petites entreprises qui peuvent profiter de ce rapprochement. Pour les petites entreprises, les coopérations sont souvent importantes, dans la mesure où elles représentent à un moment donné un levier de croissance voire de survie. Se rapprocher d’un partenaire plus grand, voire très grand, permet souvent de dépasser les difficultés du démarrage, de se retrouver dans le giron protecteur de la grande taille et de faciliter ainsi son insertion dans un monde plus vaste, plus grand, plus globalisé. En Europe en particulier, où chaque pays a ses propres règles, la coopération permet l’accès rapide à de nombreux clients. Ainsi, la start-up profite de la connaissance des marchés des grandes entreprises déjà installées sur place, parfois elle profite même de son réseau de distribution. Pour les grands groupes, s’approcher d’une start-up peut également être avantageux, voire stratégique. L’entreprise de grande taille peut ainsi exploiter un marché de niche et profiter de la flexibilité de la petite structure, flexibilité qu’elle a perdue depuis bien longtemps.

Si tout le monde est a priori gagnant, pourquoi ce taux d’échec lors des rapprochements ? Les raisons sont à la fois internes et externes aux entreprises. La littérature académique nous donne quelques pistes de réflexion.

Réflexion 1 : Prendre le temps – Les start-ups se rapprochent trop rapidement des grandes entreprises. Le produit ou le concept n’est pas encore abouti, il est trop tôt pour penser à une collaboration. Les deux entreprises se fatiguent dans des conjectures incertaines. C’est souvent le cas lorsque les relations s’établissent avec des start-ups relativement immatures économiquement et qui ont besoin de cash rapidement.

Réflexion 2 : Entre rigidité et flexibilité – Les fonctionnements internes des deux entités ne sont pas compatibles. Si d’un côté, les start-up sont flexibles et dynamiques, leur résistance est faible. De l’autre côté, les grands groupes sont bureaucratiques et lents, mais possèdent davantage de ressources pour résister à des situations incertaines. Ainsi, lorsqu’il faut agir rapidement sur un marché de niche, la start-up peut s’essouffler à attendre que son homologue de taille supérieure s’active.

Réflexion 3 : Trouver le bon interlocuteur – La structure hiérarchique n’est pas spécifiée. Si dans les grandes entreprises, l’organigramme définit souvent clairement les responsabilités des uns et des autres, ceci n’est pas souvent le cas dans les petites entreprises. En effet, dans ce type de structure, les employés sont souvent polyvalents et les lignes hiérarchiques confuses, voire inexistantes. Dans ce cadre, il manque parfois des responsables clairement identifiés qui sont en charge de la collaboration. Cependant, même dans les grands groupes, un tel responsable peut faire défaut lorsque le projet de collaboration est naissant. Les informations se perdent alors dans les méandres des couloirs.

Réflexion 4 : Qui se rassemble s’assemble – Les personnalités des individus jouent un grand rôle. D’une part, et notamment pour la start-up, il se peut que le dirigeant soit en réalité hostile à un rapprochement et qu’il ou elle souhaite davantage rester en pleine autonomie et indépendance. D’autre part, dans le cas où les entités veulent bien coopérer, il se peut aussi qu’il y ait simplement un conflit de personnalité qui rende difficiles voire impossible toute coopération.

Réflexion 5 : Comprendre son écosystème – Le Luxembourg a la particularité d’être un terrain fertile pour les écosystèmes d’affaires très variés. Du secteur aérospatial au secteur des technologies de l’information pour ne citer qu’eux, les start-ups évoluent autour d’acteurs centraux qui favorisent l’innovativité de plusieurs entreprises. Ces acteurs centraux établissent de nombreuses relations avec des parties prenantes variées dont des laboratoires de R&D. Il s’agit donc de bien cerner en quoi ces start-up créent de la valeur et participent au dynamisme de l’écosystème. Se pose alors la question suivante pour l’entreprise centrale au cœur de l’écosystème d’affaires : Comment arbitrer entre intégration des activités et partenariat gagnant-gagnant avec les start-ups ? L’intégration peut apparaître très rentable a priori mais aura l’inconvénient de réduire la flexibilité et l’innovativité de l’écosystème.

Même s’il existe un taux d’échec élevé, presque 98 pour cent des grandes et presque cent pour cent des petites entreprises sont prêtes à recommencer l’expérience d’un rapprochement, et ça malgré l’investissement lourd en temps, argent et en énergie (match-maker.ventures/). Le défi est donc de ne pas avoir peur d’essayer même s’il existe un risque d’échec.

Katherine Gundolf est professeur associée en entrepreneuriat à la Montpellier Business School. Mickaël Géraudel est professeur associé en stratégie et entrepreneuriat et membre du Centre de recherche en économie et management (Crea) à l’Université du Luxembourg.
Mickaël Géraudel, Katherine Gundolf
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