Jusqu’ici, le caractère passablement fossilisé des institutions états-uniennes avait grandement contribué à empêcher le président Biden de légiférer sur le climat. Bien que disposant d’une majorité dans les deux chambres, il n’avait pas réussi, en 18 mois, à faire passer la moindre loi de nature à mettre les États-Unis en phase avec leurs engagements au titre de l’Accord de Paris. Deux sénateurs démocrates en particulier, Joe Manchin, élu en Virginie occidentale, récipiendaire de généreuses donations des intérêts pétroliers et charbonniers, et Kyrsten Sinema, de l’Arizona, connue pour sa proximité avec les milieux du private equity, avaient mis en échec les tentatives de l’administration de faire adopter le paquet de mesures dit « Build Back Better ». Cette promesse de campagne de Biden consistait à adopter un vaste plan de relance post-Covid qui serait en même temps un chantier pharaonique d’infrastructures d’action climatique.
La surprise a éclaté en plein été. A l’issue de tractations secrètes entre le leader démocrate au Sénat, Chuck Schumer, et le sénateur virginien, connu pour son irréductibilité éhontée et son yacht sur le Potomac, un compromis baptisé « Inflation Reduction Act » (IRA) était annoncé, puis adopté la semaine dernière. Le savant montage, disparate comme peuvent l’être les résultats de marchandages budgétaires, comporte un volet climatique d’un montant de quelque 370 milliards de dollars sur dix ans. Celui-ci devrait permettre, notamment, de favoriser l’acquisition de panneaux solaires ou de véhicules électriques. Par ailleurs, il prévoit une réduction significative du prix des médicaments. Le bureau d’études Rhodium Group a calculé qu’il réduirait les émissions américaines de gaz à effet de serre de 31 à 44 pour cent d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005, contre une réduction de seulement 24 à 35 pour cent avec les politiques existantes. Les dépenses sont financées par un alourdissement de la fiscalité sur les entreprises. Mme Synema a extrait des concessions en faveur de ses amis investisseurs et, cela ne s’invente pas, une rallonge pour un programme de lutte contre la sécheresse dans son État. M. Manchin a obtenu, entre autres cadeaux à ses soutiens, l’engagement d’une reprise de l’octroi par l’État fédéral de permis de forage d’hydrocarbures.
Cette provision en dit long sur le caractère schizophrénique de l’IRA. Elle revient, face à une baignoire qui menace de déborder, à ouvrir plus grand le robinet en même temps qu’on essaie de la vider. Pour autant, ne boudons pas notre plaisir : c’est, ne l’oublions pas, la première fois que les États-Unis, dont le président précédent avait pris la décision ahurissante de quitter l’Accord de Paris, adoptent des mesures législatives significatives pour décarboner leur économie. La plupart des activistes climatiques ne s’y sont pas trompés. Tout en critiquant les contradictions inhérentes à ce paquet mal ficelé, entaché d’injustices et clairement insuffisant (« il verse de l’huile sur le feu », a commenté Greenpeace), ils ont salué le tournant historique qu’il représente et voué de poursuivre le combat.