Chroniques de l’urgence

Une gifle au monde

d'Lëtzebuerger Land du 08.07.2022

Coup sur coup, la Cour suprême américaine a révélé à quel point elle est devenue, après la nomination sous la présidence Trump de trois juges ultra-conservateurs, Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett, un dispositif essentiel de la stratégie d’accaparement des institutions étatsuniennes par un parti républicain presqu’entièrement acquis aux dogmes nauséabonds de la suprématie blanche, du patriarcat et du refus d’accepter la réalité de la crise climatique. Après ses décisions contraires au contrôle des armes et au droit à l’avortement, elle a porté le coup de grâce aux derniers espoirs, ténus il est vrai, que l’actuel occupant de la Maison Blanche impose, par le biais de l’Agence environnementale fédérale (EPA), des limites significatives aux émissions de CO2 des producteurs d’électricité. Dans l’affaire West Virginia v. EPA, six de ses neuf juges ont estimé le 30 juin que l’Agence ne disposait pas d’une autorisation suffisante du Congrès pour contraindre ces producteurs à réduire leurs émissions. Une parfaite absurdité au plan institutionnel : comment imaginer que les parlementaires siégeant au Capitole disposent de l’expertise nécessaire pour statuer eux-mêmes sur les questions d’ingénierie industrielle qu’impliquent de telles règles ?

Chacune de ces trois décisions représente une attaque caractérisée contre la vie et le bien-être humains. Mais si les deux premières ont des impacts négatifs sur la population américaine, en promettant de multiplier les fusillades et les accouchements non voulus, la troisième a pour particularité d’avoir un effet très concret au-delà des frontières américaines. Les émissions de gaz à effet de serre des États-Unis représentaient de l’ordre de six milliards de tonnes d’équivalent CO2 en 2020 (sur un total mondial d’une quarantaine de milliards) : celles liées à la production d’électricité sont elles-mêmes à l’origine d’un quart du total américain.

Ainsi, en restreignant la capacité de l’exécutif à contenir celles-ci, la Cour suprême porte atteinte directement au droit fondamental de chaque humain à disposer d’une planète habitable. Avec West Virginia v. EPA, John Roberts, président de la Cour et auteur de l’arrêt, fort du soutien de Samuel Alito, de Clarence Thomas et des trois juges nommés par Trump, a pris le parti de fouler aux pieds les perspectives de survie de la civilisation humaine pour satisfaire les intérêts fossiles qui financent grassement le camp conservateur.

Le parti républicain reste uni derrière Trump et continue de nier que la tentative d’empêcher l’élection de Joseph Biden le 6 janvier 2021 relevait du coup d’État. Pour la droite américaine, la démocratie et l’État de droit sont eux-mêmes devenus des obstacles à la poursuite de son objectif de reconquérir le pouvoir et de s’y maintenir. Nous avons bel et bien affaire à un camp retranché décidé à préserver coûte que coûte son emprise alimentée aux hydrocarbures, quitte à précipiter la planète dans une dévastation à grande échelle.

Jean Lasar
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