« Les investisseurs soutiennent toujours les combustibles fossiles, et les gouvernements continuent de distribuer des milliards de subventions en faveur du charbon, du pétrole et du gaz – quelque onze millions de dollars par minute. Pour la santé de nos sociétés et de notre planète, il nous faut arrêter notre addiction aux combustibles fossiles. Maintenant ». Cette tirade n’est pas celle d’un activiste désespéré, elle a été proférée le 1er juillet par António Guterres, secrétaire général des Nations Unies. En décembre 2019, lors de la COP25, il évoquait déjà cette dépendance, qu’il faut « résoudre sous peine que nos efforts pour réduire la crise climatique soient condamnés ». En mars dernier, en pleine guerre d’Ukraine, il la qualifiait de « destruction mutuellement assurée ».
« La terre est notre seule maison. Ensemble, nous devons la protéger et la chérir », disait-il, ou encore : « Le changement climatique détruit notre trajectoire vers la durabilité ». Pour saisir à quel point ce langage est remarquable dans la bouche d’un diplomate de ce rang, il suffit de relire le langage policé et consensuel à ce sujet de son prédécesseur, le Coréen Ban Ki-moon, dont il a repris le bâton en 2017.
Jusque-là, António Guterres, ancien premier ministre portugais, à la fois fin stratège social-démocrate et fervent catholique, Haut-Commissaire aux Réfugiés de l’ONU pendant dix ans, n’avait pas fait preuve d’un engagement particulier sur les questions climatiques. Peut-être racontera-t-il un jour l’épiphanie qui l’a amené à adopter ce ton radical ? Toujours est-il qu’il a graduellement cessé de mâcher ses mots et adopté ce discours conforme certes aux messages affolés du GIEC, mais aux antipodes des actions menées par les membres les plus influents de son organisation.
Que Guterres parle d’addiction aux combustibles fossiles est d’autant plus convainquant qu’il peut se targuer d’avoir adopté, en tant que premier ministre, une politique en matière de drogue, faite de décriminalisation et d’aide aux toxicomanes, qui a débouché sur une baisse très significative de la consommation au Portugal. Même si l’analogie entre addiction aux stupéfiants et aux hydrocarbures a ses limites, surtout s’il s’agit de concevoir des plans d’action concrets, il ne fait aucun doute qu’elle est pertinente pour décrire le comportement suicidaire qui est aujourd’hui celui de l’humanité.
En visite à Kyiv le 28 avril, après avoir rencontré Vladimir Poutine l’avant-veille à Moscou, le secrétaire général de l’ONU avait dû se mettre à l’abri pour échapper aux bombardements russes qui frappaient la ville ce jour-là, faisant un mort et une dizaine de blessés. Dans ce cas, du moins, l’analogie fonctionne parfaitement : Comment ne pas voir dans cette attaque le geste rageur, d’inspiration mafieuse, d’un pétro-dictateur cherchant à intimider celui qui ose le défier ?