Mike Cannon-Brookes, un entrepreneur australien de 42 ans qui a fait fortune dans la technologie, est parvenu à faire plier un des principaux groupes de charbonnages du pays, AGL Energy, réussissant là où des générations de militants climatiques avaient échoué.
Son exploit est de nature capitalistique, mais le profond bouleversement politique que traverse le pays y a grandement contribué. Après dix ans de gouvernement libéral, l’Australie s’est en effet choisi une équipe dirigeante travailliste le 21 mai et a fortement augmenté le nombre d’élus verts et indépendants dits « teal » (couleur sarcelle) soutenus par le front Climate 200. Les sévères coups de boutoir portés par les conséquences du réchauffement à l’île-continent – sécheresses, incendies et inondations à répétition – ont fini par convaincre ses citoyens que la poursuite du modèle économique misant à fond sur les énergies fossiles défendue par le dirigeant libéral Scott Morrison et ses alliés n’était plus tenable. La campagne s’est bel et bien jouée sur les questions climatiques.
Début mai, on apprenait que Cannon-Brookes avait acquis, pour l’équivalent de quelque 460 millions de dollars, onze pour cent du capital d’AGL Energy, devenant son premier actionnaire, et entendait s’opposer, au nom de la préservation du climat, à un projet de restructuration de la société qui aurait pérennisé pour des décennies ses centrales au charbon. Après avoir fait le dos rond dans un premier temps, la direction du groupe n’a pu que constater que la majorité des actionnaires soutenait l’actionnaire rebelle et, le 31 mai, le président de son conseil d’administration et son CEO ont démissionné, non sans avoir au préalable retiré leur projet de restructuration.
Ce qui semblait impensable il y a quelques mois est désormais sur les rails : AGL Energy, créée en 1837 et un des principaux émetteurs australiens de gaz à effet de serre, va radicalement changer de cap, s’orientant vers un abandon de ses activités fossiles et des investissements massifs dans les énergies renouvelables.
Le coup de Cannon-Brookes est prometteur. Ce n’est pas que les activistes climatiques aient jusqu’ici négligé la piste de la guérilla de type « proxy war » lors des assemblées générales des grands groupes d’énergies fossiles. Mais s’ils ont réussi à faire passer ici ou là une résolution demandant davantage d’engagement sur les questions climatiques, la plupart du temps en faisant appel au sens des responsabilités des petits actionnaires, ils n’ont, faute de capital suffisant, jamais réussi à infléchir sérieusement leurs stratégies. Chez AGL Energy, un investisseur visionnaire a réussi à déloger une équipe de pollueurs impénitents et à mettre une entreprise en apparence irrécupérable au diapason d’un pays en plein revirement. De quoi remettre en cause la fable d’un sauvetage par les milliardaires soi-disant philanthropiques comme Bill Gates ou Jeff Bezos, adeptes de la politique du carnet de chèques mais aussi ardents défenseurs du statu quo.