Aide financière pour études supérieures

Histoire de frontaliers

d'Lëtzebuerger Land vom 05.07.2013

L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 20 juin 2013 sonne sans doute la fin de l’aide financière pour études supérieures telle qu’elle avait été arrêtée par la loi du 26 juillet 2010. Il est né d’une question préjudicielle du tribunal administratif du grand-duché dans une affaire d’étudiants belges et allemands dont les parents sont des travailleurs frontaliers au Luxembourg et à qui l’État a refusé les aides financières pour études supérieures.

Dans l’esprit du législateur de 2010, l’étudiant doit être considéré comme un adulte autonome, un statut que l’aide financière doit permettre de réaliser. Le seul critère pour obtenir l’aide financière est donc celui de la résidence. D’où l’absence de critères sociaux pour l’attribution de cette aide, et évidemment l’absence de critères de nationalité, puisque l’aide financière est destinée aux résidents de quelque nationalité que ce soit et où qu’ils aillent faire leurs études.

Cette logique a eu en fait très peu d’échos. Dès avant l’arrêt de la CJE, le tribunal administratif de chez nous avait déjà conclu que les étudiants en l’occurrence n’étaient pas autonomes, mais « devaient être considérés à charge de leurs parents, lesquels sont des travailleurs migrants » (Arrêt CJE, point 25).

Les plaignants ont fait état de discrimination à leur égard. La Cour n’a pas retenu la discrimination directe (point 24). La discrimination indirecte résiderait dans le fait que la condition de résidence « serait plus facilement remplie par les ressortissants luxembourgeois que par ceux d’autres États membres ». Même cette discrimination indirecte, la Cour ne l’a retenue qu’en partie (point 46). Elle peut d’ailleurs être justifiée, mais « elle doit être propre à garantir la réalisation d’un objectif légitime et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif » (ibid.).

Le Luxembourg, dans la logique de l’Europe 2020, a voulu s’engager à augmenter le nombre d’universitaires résidents, au lieu de les importer, et argumenté que cette augmentation doit se faire dans la population résidente. C’est un argument de politique générale fort, accepté largement dans la population. Lors de la discussion sur la carte bleue européenne, la Chambre des Salariés avait refusé son accord, parce qu’elle était d’avis que l’État luxembourgeois devait faire des efforts pour qualifier au mieux notre propre main-d’œuvre. La Cour considère cet objectif comme « un objectif d’intérêt général » (point 53) que les États membres sont invités à atteindre par Europe 2020 ainsi que par les conclusions du Conseil de l’UE du 12 mai 2009, cités dans l’arrêt (points 54, 55 et 56).

Tout en reconnaissant la légitimité de cet objectif social, la Cour entreprend ensuite une analyse du « caractère approprié de la condition de résidence » à la lumière des arguments des plaignants et de la défense, en l’occurrence l’État luxembourgeois. Ce dernier s’oriente, comme il se doit, dans une logique nationale et affirme sa responsabilité pour son territoire. La Commission européenne, qui est intervenue dans cette affaire, est cependant d’avis que « les travailleurs frontaliers (…) sont intégrés (dans la société luxembourgeoise) » (point 61). Les plaignants frontaliers eux affirment qu’ils rentreraient, une fois leurs études terminées, sur le marché de l’emploi luxembourgeois.

Voilà donc un débat intéressant tranché par l’arrêt de la CJE : la Grande Région, qui envoie des frontaliers à Luxembourg, existe comme entité supérieure à l’État national. Le Luxembourg doit tenir compte de la réalité économique et sociale de la Grande Région dans sa politique nationale. Ainsi, la Cour rappelle qu’elle a jugé que les travailleurs migrants et frontaliers doivent bénéficier du principe d’égalité de traitement avec les travailleurs nationaux et résidents (point 63). Même si « le travailleur frontalier n’est pas toujours intégré dans l’État d’emploi de la même manière que l’est un travailleur résidant dans cet État » (pt. 65). Mais la Cour accepte cependant que la condition de résidence permet de réaliser l’objectif du gouvernement d’augmenter le nombre d’universitaires sur le territoire du grand-duché.

Si donc la condition de résidence est acceptée, elle n’est pas considérée comme « nécessaire ». Elle a un caractère « trop exclusif ! (sic) » (point 76) selon la Cour. Car, dit-elle, si des frontaliers travaillent pendant « une durée significative » (point 76) au Luxembourg, la « probabilité raisonnable » (point 77) existe que les étudiants frontaliers bénéficiaires de l’aide financière luxembourgeoise reviennent s’installer au Luxembourg pour y travailler.

Voilà des raisonnements dont l’intérêt est certain mais dont la force normative n’est pas évidente (comme dirait notre Conseil d’État).

La Cour était sans doute consciente du flou de certaines notions employées, comme par exemple dans l’arrêt même où elle invoque « les autres éléments potentiellement représentatifs du degré réel de rattachement du demandeur de ladite aide financière à la société ou au marché du travail de l’État membre concerné ». Éléments qui ne sont pas autrement détaillés dans les attendus de l’arrêt.

De la sorte, on a l’impression que la Cour (et la Commission européenne, point 79) essaie de construire un pont au gouvernement luxembourgeois pour sauver ce qui peut l’être sans nuire aux uns et aux autres. Ainsi, dit-elle, accordez les prêts à tous, résidents ou non, et subordonnez le remboursement du prêt « à la condition que l’étudiant qui en bénéficie revienne au Luxembourg (…) pour y travailler et y résider » (point 79). Et s’il ne revient pas à Luxembourg, comment lui fera-t-on rembourser son prêt, et qui ira le dénicher en Europe et dans le monde ?

Ou bien, pour éviter « un tourisme des bourses d’études » (c’est-à-dire des gens qui cherchent un peu partout des bourses là où il y en a), subordonnez l’octroi de l’aide à « une période minimale déterminée » (point 80) pendant laquelle le travailleur frontalier devrait avoir travaillé au Luxembourg. Et de suggérer par exemple une période de cinq ans qui constitue la condition pour acquérir le droit de séjour permanent dans un État membre (point 80). Autrement dit, on mettra ainsi à égalité le frontalier et le résident permanent. La période de cinq ans devra-t-elle être continue ou non ? Et comment déterminer les éléments de cette période, sur la bonne foi du demandeur ou preuves à l’appui ?

Pour éviter le cumul de l’aide financière dans le pays de résidence avec celle du Luxembourg, « il pourrait être évité par la prise en compte d’une telle allocation pour l’octroi de l’aide versée par l’État du Grand-Duché de Luxembourg » (point 79). Il y aurait donc un échange d’information sur les bourses et autres aides financières en Europe ?

Ce « pont » n’est pas vraiment un plan B pour le gouvernement luxembourgeois.

La difficulté pour ce dernier réside dans l’urgence à trouver une solution qui assure aux étudiants en cours d’études ou entamant leurs études de pouvoir continuer à bénéficier d’aides sérieuses. L’État luxembourgeois ne peut pas abandonner non plus son objectif d’augmenter le nombre d’universitaires résidents. Il doit enfin tenir compte de l’arrêt de la CJE et trouver une solution alternative facile à mettre en œuvre du point de vue administratif et finançable à la fois.

Bref, c’est la quadrature du cercle, ni plus ni moins !

Ben Fayot
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