Oubliée depuis une bonne trentaine d’années, elle revient, alors qu’on la croyait reléguée au rang de lointain souvenir. Il ne s’agit pas de Kate Bush, non, encore plus énervante. Pas de Cindy Lauper, non plus, rien de musical dans ce come-back venu des années 80 : c’est le grand retour de l’inflation.
« Plus qu’hier, moins que demain. » Ça pourrait être une devise écrite à l’encre tremblotante par un tatoueur bon marché sur un mollet grassouillet. Ça ressemble à des paroles d’une chanson de Frédéric François ou à un slogan gravé sur un bijou en toc authentique, en forme de cœur, dont les deux parties se détachent. Plus qu’une mièvre promesse d’amour, c’est surtout le cauchemar des gouverneurs des banques centrales, qui savent bien que l’inflation est un signe avant-coureur d’une météo financière compliquée. Le climat propice au populisme, puisque tout le monde est mécontent : ceux qui ont épargné, et dont les économies perdent de la valeur, comme ceux qui ont emprunté et voient les taux d’intérêts s’envoler.
Si le phénomène se limitait aux prix, cela signifierait simplement qu’il vaut mieux dépenser notre argent aujourd’hui que demain. Belle philosophie post-pandémie : N’attendons pas la prochaine vague pour aller en vacances, manger au restaurant ou s’offrir des cadeaux. Une bière à deux euros, c’est un souvenir du temps où l’on faisait des pleins d’essence à moins de cinquante euros. Alors dépêchons-nous de trinquer avant de devoir sortir un billet pour la moindre Bofferding sur la plus obscure des terrasses. Cette année, il n’y a pas que les prix, c’est tout qui augmente : quand j’étais jeune, un pic de chaleur, c’était quand il faisait trente degrés, maintenant c’est 34° minimum. Il y a quelques mois, souvenez-vous, une vague de Covid-19, c’était cent contaminations par jour, maintenant il en faut un bon millier. Petit à petit, les tables des restaurants ont débordé en terrasse, puis sur le trottoir, puis les places de stationnement et bientôt peut-être sur la route, pour réinventer le concept du drive-in. Nous sommes tous plus nombreux, et tous plus vieux.
On veut bien croire aux explications des économistes, sur base de crise de l’énergie, raréfaction de la main d’œuvre et guerre en Ukraine, mais il y a quand même des hausses difficiles à expliquer. Par exemple, prenez un Vel’Oh avec pour seul vice une batterie déchargée ou un panier cabossé. En 2018, c’était maximum une étoile. Aujourd’hui, il suffit qu’un vélo en libre-service ait une selle, deux pédales et deux roues non crevées, pour qu’il récolte trois étoiles, quand ceux notés à une étoile semblent clairement des rescapés du tournage de Mad Max Fury Road. C’est bien que la valeur de l’étoile a baissé ! Il doit y avoir un cours mondial de l’étoile, manipulé par Elon Musk, qui prend en compte les notes des restaurants sur Tripadvisor, des séries Netflix et des vendeurs Amazon.
Heureusement, le Grand-duché a trouvé un moyen étonnant pour lutter contre la hausse des prix : la gratuité. Les transports en commun peuvent augmenter de dix, vingt ou cent pour cent, l’aller-retour Luxembourg-Troisvierges va rester à zéro euro. Même chose pour le stationnement avec sa vignette résidentielle, les cours de musique des enfants au conservatoire, les répétitions de la Philharmonie un mardi par mois, le Mudam le mercredi, ou de nombreux musées tous les jours. Même les garderies des enfants et leurs repas de midi devraient être alignés sur ce tarif pour le moins compétitif à partir de la prochaine rentrée. Alors, en ces journées du mois d’août, quoi de mieux pour éviter de se plaindre que de profiter de tout ce qui n’a pas de prix : une promenade en forêt (en évitant de râler parce que les nouvelles signalisations des circuits auto pédestres sont vraiment moins pratiques que les bonnes vieilles flèches bleues), un pique-nique avec des amis (si ces satanées guêpes ne nous prennent pas pour cible) ou un après-midi au lac d’Esch-sur-Sûre (en espérant qu’il n’y ait pas trop de monde) !.