Lors de sa création, Extinction Rebellion (XR) avait adopté la désobéissance civile non-violente comme moyen d’action exclusif. Ses fondateurs s’appuyaient sur une analyse de grands mouvements sociaux des cent dernières années par les politologues Erica Chenoweth et Maria J. Stephan dans Why Civil Resistance Works. Elles y soutiennent que les mouvements qui ont le mieux réussi à provoquer un changement de régime sont ceux qui ont su éviter la violence, pour peu qu’ils aient réussi à mobiliser une masse critique de la population, soit deux à trois pour cent des citoyens.
Dans How to Blow Up a Pipeline, le Suédois Andreas Malm prend le contrepied à la fois de l’analyse de Chenoweth et Stephan et de son adoption par ceux qui entendent agir pour une sortie rapide des énergies fossiles. Au vu de l’urgence, argumente-t-il, il faut s’habituer à l’idée que si cette sortie doit aboutir à temps, elle devra être hâtée par des actions de sabotage des infrastructures fossiles.
Les deux politologues mascottes de XR ont quelque peu enjolivé le tableau des mouvements sociaux qu’elles ont décortiqués, omettant par exemple les actes de violence qui ont émaillé la révolution iranienne qui est venue à bout du Shah en 1978-79, les attaques contre les commissariats de police à travers l’Égypte qui ont joué un rôle crucial lors de l’éviction de Moubarak en 2011, ou encore les mutineries qui ont eu lieu en parallèle aux campagnes pour l’indépendance menées par Gandhi en Inde, détaille Malm. Pour arracher le droit de vote, les suffragettes ont cassé de nombreuses vitres. « Comment l’Algérie s’est-elle libérée ? L’Angola ? La Guinée-Bissau ? Le Kenya ? Le Vietnam ? L’Irlande ? », demande-t-il. « La chute du mur de Berlin ? Les gens n’ont pas caressé le ciment ».
Tôt ou tard, pour forcer la main des États, le mouvement pour le climat devra s’attaquer directement aux sites de production, de transformation et d’acheminement des énergies fossiles, avance Malm. Une autre cible qui s’impose selon lui est l’hyperconsommation ostentatoire, hautement émettrice et éminemment futile des ultra-riches (jets privés, yachts géants...), dont la poursuite est incompatible avec des mesures sérieuses de décarbonation.
Certes, endommager un oléoduc ou un terminal gazier est généralement considéré comme un acte violent. Mais, fait valoir Malm, que dire de la poursuite inconsidérée des émissions du complexe thermo-industriel, qui à terme condamne à la misère, aux maladies, à la migration et à la mort des millions d’humains, souvent parmi ceux aux modes de vie les moins émetteurs ? Loin d’être indiscriminé comme l’est par définition le terrorisme, le sabotage hautement ciblé qu’il préconise est compatible à ses yeux avec le capital moral dont bénéficie le mouvement pour le climat, pour peu qu’il respecte la règle de Martin Luther King de « ne mettre en aucune façon la vie en danger ».