Chroniques de l’urgence

Canopy Blues

d'Lëtzebuerger Land du 17.09.2021

Hambacher Forst, un bout de forêt à 200 kilomètres au nord de Luxembourg, entre Cologne et Aix-la-Chapelle, est devenu ces dernières années un symbole universel de la lutte contre la destruction de notre planète. Lancé pour empêcher RWE et les autorités de le détruire et d’extraire le charbon que contient son sous-sol, le mouvement de désobéissance civile « Ende Gelände » a mobilisé des jeunes de l’Allemagne et de l’Europe entière et multiplié les actions destinées à empêcher que le bois ne soit rasé. À coup de manifestations et d’occupations, notamment sous forme de bivouacs installés par les activistes dans les canopées des arbres centenaires, ils ont tenu tête avec astuce et détermination aux forces de l’ordre.

Une décision judiciaire vient de documenter à quel point, dans cette lutte inégale, les autorités du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie sont prêtes à tricher pour favoriser les menées écocidaires de RWE. Lorsqu’à l’automne 2018, elles ont à tout prix voulu se débarrasser des occupants des « Baumhäuser » qui entravaient la destruction de la forêt par les bulldozers, elles n’ont pas hésité à commanditer des expertises certifiant que ces cabanes en bois n’étaient pas conformes aux règles de protection contre les incendies. Un vaste éclat de rire, mêlé d’indignation, s’en était suivi : invoquer la réglementation anti-feu pour faciliter l’ébouillantement de la terre, il fallait oser. La municipalité de Kerpen avait été chargée de mettre en œuvre l’ordre de déguerpissement obtenu grâce à ces certificats de complaisance, mobilisant des milliers de policiers pendant deux semaines. Tombé d’un arbre, un jeune militant était mort pendant cette intervention.

Le tribunal administratif de Cologne vient de trancher : ce recours à la réglementation anti-incendie était illégal, il s’agissait clairement d’un prétexte. Intervenant peu avant les élections fédérales, ce jugement tardif a beau revêtir un caractère anecdotique, il n’en est pas moins révélateur de l’étroitesse des relations entre les autorités chrétiennes-démocrates du Land le plus peuplé d’Allemagne et le principal énergéticien du pays. Comment continuer de prendre au sérieux le ministre-président de ce Land, Armin Laschet, candidat à la succession d’Angela Merkel ? Non que ses incantations en matière climatique eussent pu paraître plausibles auparavant. Mais c’est aussi son absence totale d’éthique qui est ainsi exposée.

Malheureusement, même s’il est battu, une réorientation de la politique allemande à la hauteur de la crise climatique reste improbable. Aucun des programmes des partis susceptibles de participer à une coalition ne répond à ce défi, regrette cette semaine dans le Spiegel le climatologue Stefan Rahmstorf. Les chrétiens misent sur un anticommunisme dépassé, les libéraux sur de fausses solutions comme les voitures à l’hydrogène, l’AfD nie la réalité, die Linke annoncent des objectifs ambitieux, mais sans préciser les moyens d’y parvenir, le programme d’action climatique des Verts enfin est un « un tant soit peu crédible », mais reste insuffisant pour rester sous 1,5 degré de réchauffement, résume-t-il.

Jean Lasar
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