CD Pärele bei d'Sei de Serge Tonnar

Parallele fir d’Sei

d'Lëtzebuerger Land du 21.08.2008

Serge Tonnar est un sacré client ! Plus de vingt ans de présence sur la scène musicale luxembourgeoise (Blue Screw, Battaklang, Taboola Rasa, Zap Zoo), co-fondateur du collectif d’artistes Maskénada, de multiples apparitions en tant qu’acteur, auteur, metteur en scène ou producteur pour le théâtre où ses talents de compositeur se retrouvent aussi, même le cinéma a fait appel à lui. Tant et si bien que cette omniprésence en fait un incontournable de la scène culturelle luxembourgeoise et des médias en général, qui l’aiment bien, voyant en lui une espèce de porte-parole. Dans ce contexte, il fait office de trublion-bouffon, de « bonne conscience libertaire » qui lance son regard et ses commentaires sur le petit monde grand-ducal. Mais cette relative connivence avec les puissants entache quelque peu son aura, faisant de lui un apparatchik de plus.

Le personnage est, certes, un sujet à controverse, mais cela ne doit en rien éclipser son œuvre hétéroclite. Sa dernière émanation est un album solo, (presque) entièrement chanté en luxembourgeois (excepté Ai podjosk chanté en un idiome pseudo slave et arrangé comme tel), intitulé Päre­le bei d’Sei. D’ailleurs, il pousse les luxembourgismes à leur extrême, allant jusqu’à « luxembourgiser » cer­tains patronymes des participants (par exemple Mike Butcher devenant Metzlesch Mike). Bien évidemment, on retrouve aussi son amour des calembours vaseux et lourdingues. L’univers de Tonnar est axé, cette fois-ci, sur une approche entre chanson, folk et musiques du monde où se greffent ses textes parfois ironiques, parfois drôles, parfois touchants, parfois dérisoires, parfois graves.

Se voulant populaire, lisible et rabelaisien, il utilise des tournures simples qui font souvent mouche (avec entre autres Al Kollegen, Vum Herrgott e Kuss, le nostalgique Kiermes a mengen Duerf, le très second degré De leschte Slow), mais qui, par moments, n’évitent pas la teneur d’une discussion de comptoir (par exemple « wiessel mol d’Scheiw, wann d’Cannabis grouss sin »). Les sujets abordés évoquent aussi bien l’autorité en général, le confort et la distanciation qu’il entraîne, les relations entre vieux amis, voir grandir ses enfants et vieillir, s’accommoder de la mort, la nostalgie des kermesses de villages… Bref, les pensées d’un homme qui regarde aussi bien en arrière qu’en avant. Rappelons aussi que le titre de l’album Pärele bei d’Sei est une réaction à l’idée bien ancrée que « la scène musicale luxembourgeoise pense que les Luxembourgeois n’apprécient pas à sa juste valeur leur propre culture, de façon qu’en tant qu’artiste, on a parfois l’impression de jeter des perles aux cochons ». 

L’ensemble, musicalement, fait plus que tenir la route, et l’Arno luxembourgeois sait varier les plaisirs avec un certain savoir-faire. Seul ombre au tableau, le potache et vraiment dispensable Bassdebekifft, mauvaise blague qui se traîne sur plus de cinq minutes, aurait été plus à sa place dans les archives personnelles  de Tonnar.

Pärele bei d’Sei aurait pu être un exercice de style un peu vain. Il n’en est rien, tant la conviction et l’impression de facilité, qui émanent de la voix de Serge Tonnar, effacent ces doutes. 

Pour plus d’informations : www.maskenada.lu et www.tonnar.lu

David André
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