Ticker du 24 septembre 2021

d'Lëtzebuerger Land vom 24.09.2021

Libéré, délivré

« La justice genevoise classe l’affaire Bouvier contre Rybolovlev », titrait vendredi dernier la Tribune de Genève. Après six années de procédures, d’enquêtes, de saisies ou encore d’incarcérations, voilà le patron du port franc de Luxembourg (photo : sb) et de Singapour blanchi dans son pays d’origine, la Suisse. Dans une ordonnance rendue le 15 septembre, le ministère public de Genève classe la plainte pénale de l’oligarque Dmitriy Rybolovlev contre le marchand d’art et promoteur du Freeport Yves Bouvier. Le milliardaire russe, par ailleurs patron du club de football de Monaco, accusait le Suisse de l’avoir arnaqué dans la vente d’une quarantaine d’œuvres d’art dont la facture totale s’élève à 2,2 milliards d’euros. Dans la dénonciation pénale initiale déposée en janvier 2015 dans la Principauté, le clan Rybolovlev disait avoir découvert qu’Yves Bouvier, « auquel il incombait de négocier en leur faveur les œuvres au meilleur prix, avait menti sur le prix d’acquisition » sur des chefs d’œuvres de sorte à percevoir une commission largement supérieure à « celle fixée entre les parties ». En tout, le Suisse se serait constitué une marge d’un milliard d’euros sur lesdites ventes. Les autorités monégasques avaient diligemment donné suite à la plainte du Russe, plaçant notamment Yves Bouvier en garde-à-vue avant de le libérer sous caution. Mais depuis une enquête vise à déterminer si le Dmitriy Rybolovlev a soudoyé des représentants des autorités judiciaires dans son intérêt. Le 7 novembre 2018, le Russe a été inculpé pour trafic d’influence actif, corruption active et recel de violation du secret professionnel, de l’enquête et/ou de l’instruction et, le 8 juillet 2020, la procédure monégasque a été annulée dans son ensemble. 

Constatant ces développements et le manque de preuve à l’appui de la plainte déposée par le clan Rybolovlev en Suisse, la même qu’à Monaco, le procureur Yves Bertossa renonce à tout approfondissement de l’enquête. Dans un communiqué, Yves Bouvier se réjouit de « la fin d’un cauchemar qui a duré six ans » (des procédures sont néanmoins en cours à Paris ou encore New York). « Il a essayé de détruire mes affaires, ma réputation et ma vie », souligne le roi des ports francs. Le Freeport (devenu le Luxembourg High Security Hub en janvier) a été inauguré en septembre 2014. Bénéficiant d’une loi sur mesure (déposée par Luc Frieden, CSV, et votée en 2011) qui suspend la TVA tant que les biens sont entreposés, ce coffre pour sociétés et personnes fortunées devait devenir un atout de la place financière luxembourgeoise. Entre les suspicions de fraudes dont il a fait l’objet (alors que la direction clame invariablement qu’il s’agit du dépôt sous douane le plus clean du monde) et les affaires judiciaires de son promoteur, le Freeport n’a jamais réellement répondu aux attentes des investisseurs. « Le classement de cette affaire judiciaire sera bénéfique pour regagner la confiance des clients et prospects », explique Yves Bouvier au Land ce mercredi. Dans un entretien paru dans la Tribune de Genève le weekend dernier, il entend aller « jusqu’au bout » dans sa bataille judiciaire contre Dmitriy Rybolovlev et récupérer le milliard d’euros qu’il estime avoir perdu dans ces affaires. pso

Last Man Standing

La Chambre des métiers (CdM) n’avait pas exactement la réputation d’être une institution hyperactive. Elle vient d’entièrement restructurer son organigramme en le basant sur « le principe des chaînes hiérarchiques plus plates », comme l’annonce un communiqué officiel. Manquent cependant, dans le nouveau comité de direction élargi, Charles Bassing et Sabrina Funk, l’ancien numéro 2 et l’ancienne numéro 3 de la chambre patronale, dans laquelle ils avaient accumulé respectivement 22 et onze ans d’ancienneté. Contacté par le Land, Tom Wirion (photo en 2014 : pg), le directeur général de l’institution patronale, explique que son ancien directeur adjoint et son ancienne secrétaire générale auraient récemment quitté la CdM. À part les oldtimers Marc Gross et Tom Wirion, la plupart des six nouveaux directeurs et coordinateurs sont des recrues relativement récentes provenant de KPMG, de SES ou encore de Vinsmoselle. La lente mue de l’organisation patronale avait commencé en 2015 (sous l’ancien président Roland Kuhn) par une « introspection » encadrée par KPMG, dont les conclusions auraient été « concrétisées de manière conséquente », précise Wirion, qui présente la réorganisation de la direction (dont il est quasiment le seul survivant) comme « un pas de plus vers l’avenir ». Du moins par sa radicalité, l’aggiornamento a surpris dans le milieu patronal. Il peut être interprété comme une conséquence indirecte des pressions exercées par le ministère de l’Économie, qui, dès 2014, avait revendiqué une fusion entre la CdM et sa grande (et riche) soeur, la Chambre de commerce. La perspective d’un rapprochement forcé avait déclenché une profonde crise existentielle chez certains fonctionnaires patronaux. On peut également voir dans la restructuration récente la signature de Tom Oberweis : le nouveau président de la CdM semble plus impatient que son prédécesseur. bt

Stratégies d’adaptation

Au début des années 1980, un groupe de jeunes économistes (Patrice Pieretti, Gaston Reinesch, Guy Schuller, Michel Wurth, Serge Allegrezza) réfléchissaient aux économies de petite taille. Or, ce sujet n’a plus la cote parmi les économistes au Luxembourg, et ceci malgré la création de l’Uni.lu ; ou plutôt à cause d’elle : les petits et très petits États ne sont pas considérés comme une matière (académiquement) valorisante par les chercheurs internationaux. Peut-être par peur de se reléguer dans la « minor league », l’Uni.lu n’a ainsi pas rejoint le Network of Universities of Small Countries and Territories auquel participent les universités de Malte, du Groenland, du Liechtenstein, de San Marino, de Chypre ou encore d’Andorre. L’Institut grand-ducal (section des sciences morales et politiques) a donc pris le relais, en initiant un cycle de conférence sur « les stratégies d’adaptation à la petite taille du Luxembourg », dont les premières communications sont publiées dans les nouveaux Actes (Volume 24) qui viennent de paraître. L’idée de départ du cycle était de mettre l’accent sur les « inconvénients » de la petite taille, plutôt que de ressasser le lieu commun du « small is beautiful ».

Lors de leurs conférences (données en octobre 2020), Michel Wurth et Jean-Jacques Rommes ont surtout ressassé la success story luxembourgeoise, le premier pour la sidérurgie, le second pour la place financière. Wurth revient sur la Verhüttungsklausel (1882) par laquelle l’État liait les concessions d’exploitation de minerais à la transformation de ceux-ci en fonte sur le territoire national, un « catalyseur d’activités » que l’auteur rapproche des concessions accordées à RTL et SES. Le président d’Arcelor-Mittal Luxembourg évoque également l’ancienne Arbed comme « un État dans l’État », influençant « des pans entiers de la politique » et établissant « une interdépendance réciproque, vue souvent comme étant une des caractéristiques du petit pays. » Jean-Jacques Rommes présente, lui, la politique des niches comme une fatalité historique : « Si vous n’avez pas grand-chose, sauf votre souveraineté, il est normal que votre législation et votre politique fiscale déterminent votre stratégie ». Comme on pouvait s’y attendre, l’ancien lobbyiste bancaire se désole de « l’excès de règlementation » et regrette la « disparition de l’idée fondamentale à la base de la législation européenne, à savoir celle d’une harmonisation minimale avec une reconnaissance mutuelle », principe qui avait si bien servi les intérêts de la place financière. Comme remède à l’effritement des « avantages réglementaires », Rommes propose… davantage d’avantages réglementaires : « Continuer et accroître l’effort de lois spécifiques susceptibles de maintenir une différence entre le Luxembourg et ses concurrents ».

Cette vision mercantiliste du droit traverse également le texte d’André Prum. Le Luxembourg serait « contraint de concourir sur le marché international des normes pour attirer les investissements étrangers indispensables à son économie », énonce le professeur en droit bancaire et financier à l’Uni.lu. La tentation de se concentrer sur ce droit dérogatoire serait d’autant plus grande que le gouvernement pourrait « compter sur l’aide spontanée » des grands cabinets d’avocats et « le soutien non moins intéressé » des Big Four pour lui apporter « des projets de loi tout ficelés ». Le problème de la pénurie de fonctionnaires capables de préparer des projets de loi (ils seraient « moins de dix » au ministère de la Justice) aurait pu être résolu « par une délégation du travail, parfois habillement orchestrée, au sein de comités, comme le Haut comité de la place financière » : « Le risque de légiférer sous influence de groupes d’intérêts (‘regulatory capture’) est accepté au vu des bénéfices escomptés, du moins tant que les privilèges créés ne font pas trop réagir l’opinion publique. » Mais, ajoute le professeur Prum, son propos ne « consiste aucunement ici à critiquer la politique de niche menée avec succès par le législateur pour le bien être du pays ». Nous voici rassurés. bt

CBP, c’est vendu

La banque CBP Quilvest est rachetée par Fideuram. Moins de quinze ans après sa création par un aréopage d’investisseurs luxembourgeois, l’établissement niché derrière le conservatoire à Merl tend les bras (l’acquisition est soumise à l’approbation de la Banque centrale européenne) à un nouvel acquéreur, le groupe Intesa Sanpaolo, leader du marché en Italie. CBP Quilvest fusionnera à terme avec sa filiale Fideuram Luxembourg pour opérer en tant que hub de banque privée (gestion de fortune) en Union européenne pour la clientèle italienne et internationale du groupe.

CBP Quilvest jouit d’une histoire atypique. La banque a été créée en 2006, juste avant la crise des subprimes, par l’ancien dirigeant de Dexia-BIL Marc Hoffmann et l’entrepreneur Norbert Becker, associé à ses camarades du cabinet fiscal Atoz, ainsi que les promoteurs immobiliers Marc Giorgetti, toujours à bord, et Flavio Becca, parti depuis. Le principal actionnaire était alors la BCEE. La banque publique avait acheté 19,2 pour cent du capital pour 17,3 millions d’euros, une acquisition justifiée par la volonté de soutenir l’économie luxembourgeoise. Le pari des entrepreneurs était audacieux. Il consistait alors à créer une banque d’affaires luxembourgeoise pour entreprises et familles fortunées, d’ici ou d’ailleurs. Le conseil d’administration lors de la fondation regroupait l’ensemble des compétences de la place (l’industriel et homme d’affaires Marc Assa, le fondateur de KPMG Luxembourg et fiduciaire Bob Bernard, l’avocat Vic Elvinger ou encore l’investisseur John Penning) et la direction comptait la fine fleur locale de la structuration de produits financiers, à l’image de la sophistication prônée par l’établissement. Cette sophistication se retrouve d’ailleurs dans les statuts avec des sociétés écrans mises en place par Arendt & Medernach pour cacher les actionnaires. (Une myriade de minoritaires tels que Robert Dennewald, la Compagnie financière la Luxembourgeoise, Simone Retter ou encore une descendante de la famille du fondateur de BASF, étaient réunis dans l’entité Vauban Participations.) En 2010, Quilvest est devenue l’actionnaire principal. Cette société d’investissement basée entre la Suisse et le Luxembourg place les capitaux tirés de l’exploitation puis de la vente de la principale brasserie argentine, Quilmes. 

Ces dernières années, CBP Quilvest multipliait les exercices bénéficiaires autour de six-sept millions d’euros (pour 74 millions d’euros de fonds propres). Mais après avoir traversé la crise des subprimes, la disparition du secret bancaire et la vague réglementaire de ces dernières années, les actionnaires ont jugé les défis à venir trop importants pour une banque de cette dimension. À commencer par un environnement de taux négatifs. Après avoir envisagé d’acheter, ils ont finalement décidé de vendre, mais pas à une entité consolidante dans laquelle l’établissement serait dilué. Onze banques se sont montrées intéressées. Fideuram et Intesa Sanpaolo (Norbert Becker siège au conseil d’administration galactique de sa holding luxembourgeoise) raflent la mise. « C’est un super deal », résume le patron Marc Hoffmann, contacté par le Land. Si l’établissement (qui emploie 150 personnes) passe sous capitaux italiens, CBP demeure (au moins partiellement) en tant que tel. Son nom reste dans la dénomination sociale selon un communiqué diffusé par les parties. pso

Pierre Sorlut, Bernard Thomas
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