Une couille dans la shakshuka
Le ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn (LSAP) se présente, débonnaire, mardi à la conférence de presse sur le plan d’action national pour la mise en œuvre des principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme (photo : sb). Le sujet du devoir de diligence (qui consiste pour une entreprise à s’engager contre les violations des droits humains et à les dénoncer le cas échéant) revêt une importance extrême, mais il est vidé de son intérêt par la réticence du gouvernement et du patronat à le rendre obligatoire, en tout cas pas avant la loi européenne. Le représentant du patronat était bien là, lui, pour défendre le concept de level playing field, si cher aux théoriciens de la politique économique en vogue. On ne veut pas de règles plus contraignantes que dans les juridictions voisines pour ne pas que les entreprises y partent. Le Luxembourg n’imposera pas avant l’UE. Informées de cette position, les organisations de la société civile militant pour imposer la responsabilité des entreprises vis-à-vis du respect des droits humains ont refusé de se présenter.
Cet enjeu donne des sueurs froides à Jean Asselborn depuis le début de la semaine. L’élu socialiste se retrouve coincé entre l’indignation de l’opinion publique internationale devant les révélations d’espionnage opéré par le groupe israélien NSO et la présence de ses filiales aux Luxembourg. Jean Asselborn a été informé lundi soir de « cette histoire », nous explique-t-il. Mardi matin, « très tôt autour de 7h30 », il a appelé l’ambassadeur d’Israël au Luxembourg (résident en Belgique) pour prendre des informations sur les activités de ces entreprises au Grand-Duché. Jean Asselborn sait par ses services qu’elles ne disposent pas de licence d’exportation qui leur permettrait de commercialiser ses technologies de surveillance depuis le Luxembourg. L’ambassadeur Emmanuel Nahshon lui assure que « selon ses informations, NSO n’exporte pas ce genre de technologie » depuis le Grand-Duché. À la conférence de presse organisée à 10 heures, le ministre des Affaires étrangères balance des éléments de langage. Le Luxembourg ne serait pas dans « le viseur ». Mais le doute demeure. Un avis juridique rédigé par un cabinet d’avocats new-yorkais et trouvé sur le web (daté de septembre 2019) rassure sur le respect des principes des Nations unies par une filiale luxembourgeoise de NSO, Osy Technologies, mais informe aussi sur la politique commerciale du groupe, par exemple « we license our products only to vetted and legitimate government agencies for the sole and exclusive use in preventing serious crime, including terrorism ».
Dans l’incertitude quant aux services vendus depuis le Luxembourg par neuf filiales et holdings de NSO, le ministre socialiste exige de la société israélienne de renseignements NSO que ses filiales luxembourgeoises respectent les engagements en matière de respect des droits de l’homme qui incombent aux entreprises. Dans un courrier adressé aux dirigeants des neuf entités luxembourgeoises liées à l’éditeur du programme-espion Pegasus, le ministre des Affaires étrangères du Luxembourg fait part de sa « grande préoccupation devant les faits d’espionnage allégués à l’encontre notamment de défenseurs des droits de l’homme, de journalistes ou de responsables politiques ». Jean Asselborn rappelle dans sa lettre que la loi exige des sociétés distribuant des technologies militaires ou à double usage (civil et militaire) qu’elles requièrent l’autorisation de commerce auprès du gouvernement luxembourgeois.pso
Licenciement abusif chez Saint-Paul
Les juges du tribunal du travail de Luxembourg considèrent le licenciement d’une correctrice chez Saint-Paul (devenu Mediahuis Luxembourg cette semaine), éditeur du Wort, comme « abusif ». Dans un jugement rendu le 13 juillet que le Land a pu consulter, les magistrats estiment que les arguments économiques mis en avant par la direction des ressources humaines ne tiennent pas la route. Dans sa lettre de motivation de licenciement envoyée en décembre 2020 à la salariée virée un mois plus tôt (et qu’elle contestera en justice), le DRH Pascal Marchesin écrit que le coût salarial par rapport au chiffre d’affaires au premier semestre 2020, estimé à 62,3 pour cent, est « beaucoup trop élevé » dans un contexte « de crise sanitaire et humanitaire totalement imprévisible (…) qui continue d’engendrer des conséquences économiques désastreuses » pour le groupe Saint-Paul. Le directeur des ressources humaines invite au passage la salariée licenciée à garder les indications financières confidentielles. « Nous vous signalons que nous considérons toute divulgation de ces chiffres en dehors d’un éventuel procès (sic) comme hautement préjudiciables à notre société et nous nous réservons tous droits si vous deviez divulguer ces chiffres », est-il écrit. Vient la deuxième couche : « Nous vous tiendrons responsable pour tout préjudice que pourrait rencontrer notre société suite à des indiscrétions de votre part. »
Mais les juges relèvent que les données financières indiquées dans le courrier n’incluent pas le remboursement du chômage partiel dont l’entreprise Saint-Paul a bénéficié. « Dès lors, en décomptant ce montant, le pourcentage du coût salarial pour le premier semestre de l’année 2020 par rapport au chiffre d’affaires baisse à 54 pour cent », note le tribunal qui conclut que les mauvais résultats justifiant le licenciement ne tiennent pas à la crise du Covid-19. Les juges citent en plus des documents produits par l’avocat de Saint-Paul, la baisse du chiffre d’affaires entre les premiers semestres de 2019 à 2020 n’est pas de cinq millions d’euros, mais de 1,6 million. L’ampleur décrite dans la lettre de motivation est jugée exagérée.
Le démontage se poursuit. Les affirmations de « tendance récessionnaire dans le secteur de la presse » sont contredites par un article écrit par le rédacteur en chef en septembre 2020 dans lequel il revendique 5 600 lecteurs supplémentaires par rapport au précédent sondage, que la consultation en ligne s’est accrue et que l’hebdomadaire Télécran se maintient au sommet de sa catégorie. Last but not least, la salariée représentée par le cabinet Gaston Vogel verse trois annonces d’offres d’emploi publiées pendant son préavis et auxquelles elle aurait pu postuler. Or, selon la convention collective, en cas de restructuration, en l’espèce la suppression pure et simple du service de correction, le groupe Saint-Paul devait étudier les possibilités de reclassement en interne. Les juges en concluent que le licenciement est « à déclarer abusif étant donné que ni le caractère réel ni le caractère sérieux du motif allégué n’est établi en cause ».
Partie en retraite anticipée à son départ du groupe Saint-Paul et n’ayant manifestement pas cherché à retrouver un emploi, la salariée licenciée ne convainc pas le tribunal du travail d’un lien de causalité entre le licenciement et la perte de revenu. Il n’accède donc pas à sa demande d’indemnisation du chef de préjudice matériel (autour de 90 000 euros). En revanche, il lui accorde un préjudice moral de 7 500 euros car, après 34 ans de service et compte tenu des circonstances du licenciement (aucun reproche personnel), « il y a lieu d’admettre que la salariée a été heurtée dans sa dignité ». À l’automne 2020, la direction du groupe Saint-Paul, racheté quelques mois plus tôt par l’éditeur belge Mediahuis, a supprimé 66 postes pour des motifs économiques. Contacté par le Land, le directeur général Paul Peckels indique qu’un éventuel appel du jugement est en cours d’analyse. pso
Ballon prisonnier
« La balle est dans le camp de l’administration des contributions directe », estime la batônnière Valérie Dupong (photo : sb) une semaine après la publication des arrêts de la Cour administrative au sujet de l’immixtion du fisc dans les affaires des avocats mis en lumière dans les Panama Papers. Dans des jugements rendus en septembre 2020, le tribunal administratif avait considéré que l’ACD s’était rendu coupable d’« un excès de pouvoir » en demandant aux avocats cités dans l’enquête médiatique internationale de communiquer les noms des sociétés créées avec le concours de Mossack Fonseca, de déclarer les bénéficiaires économiques et de citer les personnes habilitées à effectuer les transactions. Le Barreau s’était offusqué de l’initiative et avait soutenu les recours déposés par les avocats volontaires puis s’est félicité des jugements de première instance qui protégeaient le secret professionnel des avocats. Oui, mais le 13 juillet, la Cour administrative a « essentiellement réformé » ces jugements, selon les termes de l’administration judiciaire dans un communiqué envoyé la semaine passée, « en reconnaissant dans le chef de l’administration des contributions le droit d’entamer des investigations sur base du régime de la surveillance fiscale générale et le droit de solliciter des renseignements de tierces personnes dans ce cadre ».
Et justement, Valérie Dupong voit bien dans ces arrêts une interprétation du cadre fourni par l’Abgabeordnung. Et selon la compréhension du Barreau, l’ACD devra reformuler leurs demandes à l’égard des avocats. On distingue notamment les demandes adressées aux avocats qui font de la « représentation fiscale » et ceux qui font du conseil fiscal. Se pose également la nécessité que les informations demandées concernent des personnes susceptibles d’être imposées au Luxembourg… puis il y a des exceptions, comme en cas de contentieux fiscal pénal. Et la demande doit s’appuyer sur des indices concrets... De la dentelle en somme. « On n’est pas fâché d’avoir eu une interprétation de ces textes », confie la bâtonnière qui propose de se rapprocher de l’ACD afin de discuter d’une interprétation commune en vue d’établir des lignes de conduite pour ses ouailles du barreau. pso
L’espion qui espère septembre
L’ancien chef des opérations du Srel reconverti dans le renseignement privé, Frank Schneider, attendra le 23 septembre pour savoir si la justice française accepte de le rendre aux autorités américaines. L’Oncle Sam enquête sur l’implication du Luxembourgeois, 51 ans, dans le scandale OneCoin, du nom de la cryptomonnaie que le FBI voit comme une arnaque à 3,5 milliards de dollars. Le nom de Frank Schneider (photo : sb) avait été cité en 2019 durant le procès à New York d’un blanchisseur proche de la cryptoqueen Ruja Ignatova. Au Land, le Luxembourgeois avait confié avoir travaillé pour la Bulgare, aujourd’hui disparue, mais contestait la nature frauduleuse du projet, qu’il comprenait comme un programme de formations. Les autorités américaines avait fait arrêter Frank Schneider le
29 avril à Joudreville (Meurthe-et-Moselle) où il réside quand il n’est pas à Dubaï ou au Luxembourg. La demande d’extradition américaine est parvenue fin juin, dans les délais, aux autorités françaises. La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Nancy devait statuer le 21 juillet sur son admissibilité (ou non). Les juges français ont demandé un supplément d’information. Selon l’avocat général Philippe Renzi, la requête vise « la fourniture d’éléments tenant à l’avis donné aux autorités judiciaires luxembourgeoises de cette demande d’extradition et de leur volonté d’intervenir ou pas ». La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Nancy souhaite aussi obtenir des « garanties fondamentales » de la part des autorités judiciaires américaines « quant au déroulement des poursuites pénales dans ce pays et du régime d’exécution des sanctions, en référence aux droits garantis par la convention européenne des droits de l’homme », explique le représentant du parquet au Land. L’affaire sera à nouveau évoquée lors de l’audience de la chambre de l’instruction du
23 septembre. pso