Film made with Luxembourg

Sex, drugs & rock’n’roll en plein Printemps arabe

d'Lëtzebuerger Land vom 17.09.2021

Moumen a 17 ans. Il est de ces jeunes tunisiens qui profitent de l’ouverture des mentalités qu’a connu son pays après la chute de Ben Ali. Il aime le foot, porte les cheveux mi-long et, « comme tous les joueurs », il s’est fait percer les oreilles. Gardien de but, capitaine de son équipe, il semble promis à un avenir radieux. Tout le monde lui prédit une place à l’Espérance sportive de Tunis, autrement dit l’équipe la plus titrée du pays. Une signature qui, sans égaler son idole Leo Messi, dont il a le poster dans le chambre, permettrait à ce jeune de classe défavorisée de sortir du « trou à rat » où il vit avec sa mère, ouvrière dans une usine textile, et son père, « ancien meilleur attaquant de (sa) génération » qui, selon ses propres dires, « a failli signer à l’OM», devenu, depuis, un alcoolique notoire qui dépense son salaire dans des troquets minables.

Mais en Tunisie, que ce soit sous Ben Ali ou en plein Printemps arabe, le mérite ne semble pas suffire. Ici, sans relations et sans argent, les portes semblent fermées à double tour, ce qui oblige, sa mère, Amel, femme indépendante qui ne se laisse pas marcher sur les pieds ni par son mari, ni par sa famille traditionaliste, à remuer ciel et terre pour essayer d’aider son fils adoré. Déléguée du personnel dans son entreprise, elle échange des infos sur les ouvrières turbulentes contre un bon contact à l’Espérance. Un premier compromis qui l’entraînera rapidement vers une pente glissante.
Car si Moumen va devoir souffrir du fait d’être le fils de personne, Amel, va également devoir faire face au poids de la religion et au sexisme. Lorsqu’elle accepte un dîner avec un ami de son patron qui pourrait lui venir en aide, elle finit par se faire agresser sexuellement, puis, alors que la police débarque, par être accusée d’adultère, outrage à l’ordre public et prostitution. Elle passera six mois en prison pour ça.

Six mois dont on ne saura rien, car le récit que le réalisateur veut raconter est ailleurs, auprès de Moumen. Miné par l’arrestation de cette mère dont il est si proche, par le désintérêt du père et par le scandale, le jeune homme perd rapidement pied. Il délaisse les terrains de foot et l’ambiance des vestiaires pour plonger la tête la première dans l’univers interlope de la nuit tunisienne. Fêtes, beuveries, drogues, prostitution, extorsions, bastons entre bandes rivales et excès en tout genre deviennent son quotidien.

Un milieu dangereux, mais surtout ultrasecret qui n’empêchera pas Amel, désormais plus désargentée que jamais, abandonnée par son mari, repoussée par sa famille et obligée de trouver un emploi dans un cabaret, de partir à sa recherche. Dans cette longue quête du fils disparu, Amel doit faire face à la société tunisienne en chute libre, gangrenée par la violence, la criminalité ; une société divisée entre ceux qui veulent jouir de leur liberté nouvelle et ceux qui, au contraire, espère profiter de la faiblesse du pouvoir en place pour imposer un islamisme politique obscurantiste.
« C’est une quête infernale d’amour » résume le coproducteur luxembourgeois, Donato Rotunno. Dans les notes d’intention, le réalisateur précise : « Streams est un drame déchirant sur une mère tunisienne, abusée sexuellement, qui fait face à une société ravagée par la violence et un système policier dépravé ». « Le film (…) est l‘imbrication de trois thèmes qui m’ont toujours hanté : la famille, la culpabilité et l’amour », poursuit-il.

Monté avec un budget de 745 000 euros, Streams est une réussite par son récit fort et complexe, ses personnages touchants et ce décor de la Tunisie post révolutionnaire immédiatement rattrapé par le démon de la violence et de la corruption. « Une réalité lointaine et étrangère au Luxembourg », reconnaît Donato Rotunno, qui voit néanmoins, « une universalité dans le sujet traité. Il y a le rapport fils-père et surtout fils-mère et le fait que le garçon se perd dans les méandres de la nuit tunisienne comme d’autres peuvent se perdre dans les méandres des nuits luxembourgeoises avec les mêmes excès ».

Le choix de la caméra à l’épaule constamment au plus près des personnages renforce cette impression que le scénario, bien que spécifiquement tunisien, pourrait aisément être transposé dans une mégapole nord-américaine ou une banlieue européenne. « Heureusement nous avons au Luxembourg, avec Cineworld, les outils nécessaires pour faire ce genre de coproductions de films et de sujets différents, et d’accompagner des films forts et atypiques », souligne le réalisateur-producteur de Tarantula. Le Grand-Duché a ainsi participé à vingt pour cent du budget du film et c’est au Luxembourg (Philophon) qu’a été réalisée toute la post-production de ce film où il est finalement question de descente en enfer, de chemin de croix, de rachat et surtout de l’amour éternel et à toute épreuve d’une mère pour son fils.

Pablo Chimienti
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