Chez les Weisgerber, être tisserand est une affaire de famille. Depuis que Lily Weisgerber-Peters a ouvert son atelier à Contern en 1982, les aventures autour du tissage sous toutes ses formes ne tarissent pas. Parmi les quatre enfants, les deux filles ont hérité du savoir-faire et sont des régulières sur les métiers à tisser. Le mari Pit s’y est mis peu après sa retraite, en transposant son expertise d’ingénieur informatique vers les plus récentes technologies liées au tissage programmable sur ordinateur (fignoleur, il a finalement choisi de s’investir dans le tissage plutôt que dans le perfectionnement du chinois ou des excursions cyclistes dans l’Himalaya). Effectivement, le système binaire des cartes perforées tisserandes est similaire au système informatique. Le ‘TC2’ (Thread Controller 2), un métier Jacquard électronique, permet le tissage de motifs plus fluides et moins répétitifs que les métiers traditionnels, et ouvre la porte à une infinité de possibilités.
Sans grande visibilité, l’atelier de Contern cherche pourtant sa pareille dans la région. Les stagiaires issus de l’université de Trèves, qui offre des études en design textile, sont des familiers de la communauté que Lily Weisgerber-Peters a rassemblé au fil des années au Luxembourg et au-delà. Membres actifs de l’European Textile Network, les Weisgerber ont des contacts dans le monde entier. Il arrive que Lily soit consultée sur des cas spécifiques, comme pour le déchiffrage des vieux manuscrits incomplets découverts en Suède.
Parmi leur réseau figurent évidemment les passionnés que Lily a initiés au tissage pendant de longues années au sein du Service de la formation des adultes, avant que les autorités luxembourgeoises ne décident, il y a une quinzaine d’années, d’exclure le tissage du catalogue des cours offerts. « Une décision que je n’arrive pas à appréhender, déplore Lily, la demande en leçons étant forte et constante ». Le transfert des connaissances en matière de tissage n’est donc plus du tout institutionnalisé au Grand-Duché. Si Lily continue à enseigner ses compétences à une douzaine de personnes plusieurs fois dans la semaine, les places sont comptées et attribuées sur liste d’attente.
Malgré sa taille relativement réduite, l’atelier est un lieu inédit. Quatre métiers à tisser s’enchaînent dès le pas de la porte, dont deux de haute technologie. Les pelotes de laine et de soie s’entassent les unes sur les autres dans un univers scintillant de toutes les couleurs imaginables. « Ma matière première, c’est tout » explique Lily, les yeux brillants. « Parmi tout ce que vous voyez ici, il n’y a pas un fournisseur dont je ne connais pas exactement les méthodes de travail et les conditions de fabrication ». Il n’y a que des fournisseurs européens : italiens, suédois, suisses, allemands, néerlandais… Avec une exception indienne pour une certaine sorte de soie (mais qui ne sera plus reconduite). Les critères importants pour Lily sont la conscience écologique et durable et le caractère naturel de la matière. Ici, on ne tisse rien de synthétique.
Si sa marraine était couturière, Lily Weisgerber a en fait grandi dans un atelier de poterie. L’amour de l’artisanat est alors une évidence pour cette tisserande autodidacte pendant des années, qui ne cesse jamais de rechercher à nouveau l’assemblage parfait de motifs et de couleurs. Sa vocation d’artisane a certainement quelque chose à voir avec la passion de l’esthète, mais aussi avec un désir d’autonomie. « Pourquoi faire venir de Chine des produits que nous savons faire ici, dont nous pouvons être fiers, qui créent des boulots ? », s’interroge-t-elle. « On a la possibilité de nous éloigner des problèmes de l’industrie de textile tels qu’ils existent ailleurs. Consommer plus local, plus durable, et de meilleure qualité est accessible, aussi dans le domaine du textile. »
La production de l’atelier est axée, à côté des écharpes et châles –des pièces uniques –sur les objets utilitaires du quotidien, tels que serviettes de cuisine ou de bain, tabliers, nappes et serviettes. Ces objets sont en vente dans la petite boutique à Contern et surtout lors de marchés occasionnels. Une expérience de vente en ligne, sur Letzshop, s’est avérée trop chronophage pour la petite équipe des Weisgerber.
Un troisième pilier sont les projets spéciaux, plus élaborés et artistiques. « On a fait des choses pour le secteur cinématographique par exemple. Ou pour des artistes qui travaillent autour de la matière, comme pour cette styliste qui nous a demandé de tisser un produit avec des fils métalliques ». Chose faite. Des projets personnels aussi, comme l’écharpe représentant le bouquet de fleurs arborant la tombe d’un être cher. La créativité n’a pas de limites, et si Lily est en panne d’inspiration ou d’explications pour ses cours, elle ouvre un des ouvrages parmi la centaine de bouquins sur le tissage et les matières textiles qui peuplent la pièce centrale de l’atelier. Sa lecture actuelle porte sur les morceaux de tissu découverts sur les momies de l’ethnie Urumqi, en région autonome ouïgour de Xinjiang…
Son savoir-faire lui a par ailleurs valu de faire partie des quatre biennales « De Mains De Maîtres ». Elle entretient également des collaborations avec une série d’autres artisans luxembourgeois, tels la styliste Anne Bauler, la couturière Geneviève van den Boogaert ou la modiste Nita, rue Louvigny.