Un petit bout de femme enveloppé dans une grande cape, un bonnet de laine sur son crâne rasé, ouvre les portes du Centre de méditation zen du Luxembourg : Kankyo Tannier s’apprête à diriger une séance de méditation destinée aux débutants. La nonne bouddhiste a fait la route depuis le monastère Ryumonji, basé à Weiterswiller, en Alsace, où elle vit depuis 23 ans. « L’injonction à la réussite financière et le consumérisme ne me convenaient pas, ma vie sociale manquait de sens, raconte-t-elle. Je recherchais une spiritualité qui me permettrait de faire le chemin par moi-même. Le Bouddha dit : « ne me croyez pas, faites l’expérience ». Ça a résonné en moi : nous ne sommes pas des moutons ! ».
La hiérarchie et le rôle du maître en tant que guide existent pourtant bien dans le bouddhisme, « mais sans enlever la responsabilité et la réflexion individuelles » précise la nonne, avant d’inviter la vingtaine de participants à s’installer sur les tapis disséminés autour de l’autel. Le mopan, un gong en bois, retentit pour annoncer le début de l’initiation au zazen (qui désigne à la fois la méditation du bouddhisme zen et la posture assise qui l’accompagne). On apprend d’abord à se tenir comme il faut : en tailleur, la tête droite, le dos légèrement cambré, les mains superposées... C’est déjà tout un art. Le regard baissé, on est invités à « compter ses pensées » en prenant simplement note de leur apparition et disparition. En tenant la position assez longuement, on constate qu’on a mal partout. « Là vous vous dites que vous pensiez vous détendre, mais qu’en fait vous avez souffert pendant une demi-heure ! » sourit Kankyo pour introduire l’« enseignement » qui suit. Au fil de ce monologue se mêlent philosophie, sciences cognitives et principes du zazen, « qui ne consiste pas à déconnecter mais au contraire à être dans une totale présence aux choses ». La bienveillance, l’humour, le sourire et le regard chaleureux de Kankyo donnent à ses mots simples un écho particulier. Beaucoup opinent du chef lorsqu’elle évoque le stress quotidien, le deuil, la négativité... Ajoutez-y l’atmosphère des lieux, les gestes rituels, l’effet de groupe et vous obtenez un moment suspendu doté d’une certaine aura.
Zehra est en tout cas convaincue. « Ça fait du bien de se décentrer un peu, surtout lorsque l’on a un métier exigeant », glisse cette animatrice en maison de retraite, qui a réussi à se faire remplacer par une collègue pour venir ce soir-là au Centre Convict, où se déroulent les séances. « L’idée de pouvoir mettre à distance la souffrance physique et psychique, ça pourra m’être utile dans mon travail », pense-t-elle. Sabine, ergothérapeute, est fan des séances matinales diffusées sur Zen online, la chaîne web du temple Ryumonji. « Ça m’aide à commencer la journée, explique-t-elle. Pour moi c’est une discipline, un cadre de vie, ça me donne une direction ». Vincent, fonctionnaire à la retraite, est déjà un homme sage (il est abonné au Land) mais admet avoir été intéressé par l’aspect philosophique du discours de Kankyo. Même si lui aussi a mal partout. « Je vais acheter un livre pour approfondir », annonce-t-il.
Après la séance, on échange tranquillement autour de quelques victuailles (il faut juste faire gaffe une dernière fois à ne pas sortir du dojo du pied gauche) : un moment de convivialité pour le sangha, qui signifie « inséparable » en sanskrit et désigne la communauté des pratiquants du bouddhisme. « L’idée d’évoluer ensemble est centrale », éclaire Kankyo Tannier. Entre deux parts de focaccia, on se demande si on a assisté à une cérémonie religieuse, un moment de bien-être ou une séance de développement personnel. Il faut dire que l’industrie du bien-être a largement puisé dans les principes du bouddhisme zen. On pense à ces entreprises qui organisent des séances de méditation pour relaxer leurs employés, afin de mieux les renvoyer au turbin. « Je déplore cette instrumentalisation de la méditation débarrassée de la philosophie bouddhiste, où l’objectif n’est pas de s’élever mais d’augmenter la productivité et la résistance à la pression », réagit Kankyo.
Ce soir-là, les vapeurs d’encens, la statue de Bouddha, le silence seulement interrompu par la voix apaisante de la nonne ont couvert le bruit des sirènes sur l’avenue Marie-Thérèse toute proche. Un instant hors du fracas du monde, même en essayant d’atteindre la pleine conscience, est toujours bon à prendre.