Plus un bruit

d'Lëtzebuerger Land du 17.01.2025

Un petit bout de femme enveloppé dans une grande cape, un bonnet de laine sur son crâne rasé, ouvre les portes du Centre de méditation zen du Luxembourg : Kankyo Tannier s’apprête à diriger une séance de méditation destinée aux débutants. La nonne bouddhiste a fait la route depuis le monastère Ryumonji, basé à Weiterswiller, en Alsace, où elle vit depuis 23 ans. « L’injonction à la réussite financière et le consumérisme ne me convenaient pas, ma vie sociale manquait de sens, raconte-t-elle. Je recherchais une spiritualité qui me permettrait de faire le chemin par moi-même. Le Bouddha dit : « ne me croyez pas, faites l’expérience ». Ça a résonné en moi : nous ne sommes pas des moutons ! ».

La hiérarchie et le rôle du maître en tant que guide existent pourtant bien dans le bouddhisme, « mais sans enlever la responsabilité et la réflexion individuelles » précise la nonne, avant d’inviter la vingtaine de participants à s’installer sur les tapis disséminés autour de l’autel. Le mopan, un gong en bois, retentit pour annoncer le début de l’initiation au zazen (qui désigne à la fois la méditation du bouddhisme zen et la posture assise qui l’accompagne). On apprend d’abord à se tenir comme il faut : en tailleur, la tête droite, le dos légèrement cambré, les mains superposées... C’est déjà tout un art. Le regard baissé, on est invités à « compter ses pensées » en prenant simplement note de leur apparition et disparition. En tenant la position assez longuement, on constate qu’on a mal partout. « Là vous vous dites que vous pensiez vous détendre, mais qu’en fait vous avez souffert pendant une demi-heure ! » sourit Kankyo pour introduire l’« enseignement » qui suit. Au fil de ce monologue se mêlent philosophie, sciences cognitives et principes du zazen, « qui ne consiste pas à déconnecter mais au contraire à être dans une totale présence aux choses ». La bienveillance, l’humour, le sourire et le regard chaleureux de Kankyo donnent à ses mots simples un écho particulier. Beaucoup opinent du chef lorsqu’elle évoque le stress quotidien, le deuil, la négativité... Ajoutez-y l’atmosphère des lieux, les gestes rituels, l’effet de groupe et vous obtenez un moment suspendu doté d’une certaine aura.

Zehra est en tout cas convaincue. « Ça fait du bien de se décentrer un peu, surtout lorsque l’on a un métier exigeant », glisse cette animatrice en maison de retraite, qui a réussi à se faire remplacer par une collègue pour venir ce soir-là au Centre Convict, où se déroulent les séances. « L’idée de pouvoir mettre à distance la souffrance physique et psychique, ça pourra m’être utile dans mon travail », pense-t-elle. Sabine, ergothérapeute, est fan des séances matinales diffusées sur Zen online, la chaîne web du temple Ryumonji. « Ça m’aide à commencer la journée, explique-t-elle. Pour moi c’est une discipline, un cadre de vie, ça me donne une direction ». Vincent, fonctionnaire à la retraite, est déjà un homme sage (il est abonné au Land) mais admet avoir été intéressé par l’aspect philosophique du discours de Kankyo. Même si lui aussi a mal partout. « Je vais acheter un livre pour approfondir », annonce-t-il.

Après la séance, on échange tranquillement autour de quelques victuailles (il faut juste faire gaffe une dernière fois à ne pas sortir du dojo du pied gauche) : un moment de convivialité pour le sangha, qui signifie « inséparable » en sanskrit et désigne la communauté des pratiquants du bouddhisme. « L’idée d’évoluer ensemble est centrale », éclaire Kankyo Tannier. Entre deux parts de focaccia, on se demande si on a assisté à une cérémonie religieuse, un moment de bien-être ou une séance de développement personnel. Il faut dire que l’industrie du bien-être a largement puisé dans les principes du bouddhisme zen. On pense à ces entreprises qui organisent des séances de méditation pour relaxer leurs employés, afin de mieux les renvoyer au turbin. « Je déplore cette instrumentalisation de la méditation débarrassée de la philosophie bouddhiste, où l’objectif n’est pas de s’élever mais d’augmenter la productivité et la résistance à la pression », réagit Kankyo.

Ce soir-là, les vapeurs d’encens, la statue de Bouddha, le silence seulement interrompu par la voix apaisante de la nonne ont couvert le bruit des sirènes sur l’avenue Marie-Thérèse toute proche. Un instant hors du fracas du monde, même en essayant d’atteindre la pleine conscience, est toujours bon à prendre.

Benjamin Bottemer
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