Une affaire de mains

d'Lëtzebuerger Land du 17.05.2019

Sans doute est-ce l’effet des ponts de mai et de tous ces jours fériés que je passe à observer ma terrasse. Car chaque année, à la même époque, je suis prise du syndrome de la main verte. Tout commence dès l’apparition du premier rayon de soleil un tant soit peu chaud, moment où je m’empresse de sortir mon salon de jardin et de mettre la main à l’ouvrage afin de préparer l’endroit pour la belle saison. Je désherbe, je coupe, j’arrache, je karchérise, je balaie, je dépote et rempote à tout va… Je n’y vais pas de main morte et pourtant, une fois la tâche accomplie, mes arbustes ne me paraissent jamais assez fournis, mon érable japonais toujours un peu trop nu et mes bambous bien ternes sous le ciel bleu.

Je me mets alors à rêver de jungle urbaine, d’oasis de verdure, de rhododendrons et d’azalées, de parterres à l’anglaise et de potager où les tomates rouges et juteuses se savourent à même l’arbre… En un tour de main, j’imagine la terrasse de mes rêves et me retrouve, ni une ni deux, dans un de ces grands magasins dédié au vert, à affronter une foule de jardiniers en herbe, décidément pareillement inspirés… Un peu perdue face au choix de semences qui s’offre à moi, je chasse les doutes qui soudain m’assaillent d’un revers de main. Car jusqu’à présent, il faut bien l’admettre, le jardinage et moi, ça fait deux. Et ce n’est pas faute d’essayer ! L’an passé, les limaces ont eu raison de mes salades et mon thym a subi une grève de la soif imposée. L’arrosage automatique était pourtant enclenché, j’en mettrai aujourd’hui encore ma main à couper.

Peu importe, me voilà donc ravie et déterminée, à zigzaguer sur un parking bondé, derrière un caddie rempli de plants de fruits et légumes divers et variés, de pots de lavande, de marguerites géantes, d’herbes aromatiques et de mobiles à vent colorés. Ce n’est qu’en embarquant tout ça dans ma voiture, sac de terreau dans un bras et bébé dans l’autre, que je réalise avoir peut-être eu la main lourde… D’autant que le magasin en question commence à me connaître ! Car ma frénésie verte a déjà sévi cet hiver, lorsque j’ai voulu contrer le froid en faisant de mon intérieur un véritable écosystème peuplé de plantes grasses, grimpantes, tombantes et succulentes.

Convaincue de m’être fait la main des années durant sur des cactus que je me targue de conserver depuis mon premier studio d’étudiante, j’ai ainsi transformé mon salon en petite maternité des plantes, m’aventurant dans d’obscures techniques de bouturage et d’échanges de boutures de seconde main. Là encore, un fiasco, mais peu importe, on ne devient pas botaniste en un essai. Persévérante, c’est donc pas peu fière et les deux mains dans la terre que j’imaginais déjà montrer à mon petit garçon des fraises pousser à même son balcon. Et force est de constater qu’avec mes pots joliment étiquetés, mes plants de lavandes parfaitement alignés, mes marguerites bien ensoleillées et un pilea d’intérieur prêt à enfanter, j’avais plutôt l’impression d’avoir la main heureuse ces dernières semaines…

C’était sans compter les aléas du ciel. Car quiconque travaille la terre le sait : la météo a la mainmise sur l’avenir de la semence. Et mes belles plantations que je pensais en de bonnes mains ont accusés le coup. La faute aux gelées tardives de mai, la faute aux Saints de Glace ou la faute à pas de chance, que sais-je… Prenant mon courage à deux mains, j’ai sauvé ce qu’il y avait à sauver, j’ai tenté de remettre sur pied et de replanter, sait-on jamais. Reste que je ne me suis pas résignée ! Paraît-il que même les vignerons de la Moselle en ont fait les frais, alors cette défaite-là, je m’en lave les mains, c’est décidé.

Salomé Jeko
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