Fin juin, Soufiane Saadi passait dans « La Bulle Immo », le podcast immobilier de RTL. Le CEO d’atHome Group y détaillait les dernières données de sa plateforme. Le volume de nouvelles annonces aurait atteint un record, « énormément de biens sont mis en vente, principalement sur l’ancien ». Or, « ce qui sort » (c’est-à-dire les biens vendus) ne serait « plus aussi important ». Saadi voyait dans cette accumulation d’annonces le premier signe d’une « décélération » : « Est-ce qu’on n’est pas en train de shifter d’un seller’s market vers un marché d’acheteurs ? » La hausse des taux hypothécaires semble avoir enterré la période du super-boom (2018-2022), avec ses croissances annuelles entre dix et quinze pour cent. Aujourd’hui, les biens ne se vendent plus tout seuls au bout de quelques jours. Julien Licheron, économiste à l’Observatoire de l’Habitat, se veut rassurant : Un « effondrement » des prix lui paraît « exclu ». Les fondamentaux resteraient « sains », soutenus par le solde démographique et l’appétence des investisseurs. Il prévoit tout au plus un « ajustement ». Et de rappeler : « Même si les prix baissaient de quinze pour cent – ce qui serait déjà énorme –, on ne ferait finalement que retrouver les niveaux de 2020 ».
Les indicateurs officiels n’ont jusqu’ici pas enregistré de baisse. (Entre janvier et mars 2022, les prix ont connu une augmentation annuelle de 10,5 pour cent.) Dans son dernier « Conjoncture Flash », le Statec annonce pourtant « une hausse en train de se modérer ». À première vue, le scénario qui s’annonce semble analogue à celui de 2008-2009. Au lendemain du meltdown financier, plus rien ne bougeait sur le marché de l’immobilier. Les acheteurs refusaient de payer les prix demandés, alors que les vendeurs ne voulaient pas revoir leurs attentes à la baisse. Une drôle de guerre s’installa. Elle se traduisit par une chute du volume des transactions de 55 pour cent. Enfin, les prix de l’immobilier baissaient légèrement (moins cinq pour cent), avant de reprendre de nouveau leur envol.
Mais 2022 ne sera pas 2008. Même si une « correction » des prix se concrétisait, les primo-accédants n’en ressentiraient pas les effets. Car toute baisse des prix se retrouvera illico phagocytée par la hausse des taux d’intérêts. Sur les six derniers mois, le fixe a plus que doublé, passant de 1,50 à plus de trois pour cent. Pour un prêt hypothécaire d’un million d’euros sur vingt ans, ceci signifie une augmentation des mensualités de 4 825 à 5 545 euros. La capacité de financement des ménages s’en trouve sérieusement entamée. Dans l’actuelle édition de Fonction Publique, le président de la CGFP se plaint que cette hausse subite se ferait ressentir « bis weit in die Mittelschicht ». Romain Wolff emploie ici la nouvelle périphrase standard, qui doit signifier que le problème est à considérer comme sérieux, puisqu’il touche les électeurs luxembourgeois. Au cours de ces derniers mois, le rêve de l’accès à la propriété s’est évanoui pour de nombreux jeunes qui ne peuvent compter sur un héritage. Les agences évoquent « un reality check assez dur ». Dans son nouveau spot publicitaire, la BCEE fait encore danser et chanter un jeune couple devant son siège : « Mir géife gär een Haus kafen/ Am Land oder hannert der Grenz/ Vläicht solle mir et vergiessen/ Who-hoo-hoo […]. » La Banque centrale du Luxembourg note sèchement dans son dernier rapport trimestriel : « Selon les banques, les ménages auraient diminué leur demande pour des prêts à l’habitat lors du premier trimestre 2022 (-50 pour cent en pourcentages nets). […] Pour le deuxième trimestre 2022, les banques ont anticipé un nouveau durcissement de leurs critères d’octroi, combiné à une baisse de la demande des ménages pour ces prêts ».
Tout semble se liguer contre les primo-accédants. L’indice des prix de construction a augmenté de quatorze pour cent en une année, la hausse la plus importante enregistrée depuis 1975. La pénurie de gaz qui s’annonce pour l’hiver a transformé la performance énergétique en réelle préoccupation. Enfin, les investisseurs continuent à s’engouffrer dans le marché immobilier. Les Big Four font de leur mieux pour alimenter la surchauffe. « Luxembourg has become even more attractive for developers and investors interested in having safe returns for their funds », se réjouissent ainsi deux associés d’EY dans l’édition actuelle de PropertyEU Magazine. « Residential assets have proven their resilience and as a positive effect, investors are turning more towards this market segment ». Le logement comme « asset » ; jeunes ménages s’abstenir.