Le grand avantage de l’article 29bis du Pacte Logement 2.0, c’est son automatisme : Là où seront construits des maisons et appartements, les communes et l’État récolteront quinze pour cent de logements abordables. Un transfert de propriété, sans options ni tractages, pour chaque parcelle mobilisée. Mais le silence des promoteurs indique que la mesure est largement ressentie comme homéopathique. Par rapport aux marges obscènes réalisées sur certains projets, le taux de quinze pour cent doit leur paraître bien sage. (Il semble surtout arbitraire : pourquoi quinze plutôt que vingt, vingt-cinq ou trente pour cent ?)
Le ministère de l’Intérieur et celui du Logement estiment qu’à terme, ce mécanisme permettra de créer jusqu’à 600 logements publics abordables par an, c’est-à-dire deux fois la production annuelle de la SNHBM. Avec plus d’un siècle de retard sur d’autres villes d’Europe, les communes luxembourgeoises se voient donc obligées de se constituer un parc immobilier. Elles ne sont pas toutes enchantées par cette perspective. D’abord parce que la gestion (notamment locative) de ce nouveau parc immobilier dépassera leurs capacités administratives actuelles. (Elles pourront dès lors faire appel à la SNHBM ou au Fonds du Logement pour l’assurer.) Ensuite parce qu’en « compensation » aux quinze pour cent cédés à la main publique, les promoteurs auront le droit de construire dix pour cent de plus. Cette augmentation du degré d’utilisation du sol (par rapport au PAG) touche au sacro-saint principe de l’« autonomie communale ». Une ingérence centraliste qui avait poussé le Syvicol à s’opposer « formellement » à l’article 29bis.
À la veille de l’entrée en vigueur de l’article 29bis, le 19 février, les promoteurs et édiles ont été saisis par la Torschlusspanik. Par exemple à Niederanven, où le maire Raymond Weydert (CSV) a hâté les procédures pour un grand projet de lotissements de 400 maisons (« PAP Kazenheck/Op de Wolleken ») afin de passer à côté des nouvelles règles. Face au Land, il expliquait ne pas avoir voulu « renégocier avec les nombreux propriétaires », qui auraient d’ailleurs exercé « une grande pression ». Or, la pression n’émane pas seulement des propriétaires fonciers. Le conseil échevinal avait également peur de devoir composer avec les riverains. Le projet de lotissement avait dominé les campagnes électorales de 2011 et de 2017 à Niederanven, et provoqué la colère des établis qui estimaient leur vue idyllique menacée. Au bout de quelques réunions houleuses (suivies de workshops plus apaisés), le projet fut finalement revu à la baisse, sa densité réduite. Rouvrir cette boîte de Pandore, voilà une perspective qui n’enthousiasmait guère le conseil échevinal.
Le député-maire de Hesperange, Marc Lies, s’était fait l’écho des angoisses des riverains en déclarant à la commission parlementaire du Logement : « Il faut en outre craindre que les logements avoisinants perdent de valeur, si les bâtiments nouveaux seront à densité plus élevée ». Malgré tous les discours du dimanche, dans la pratique, la densification continue à se heurter aux réflexes Nimby. Les Luxembourgeois veulent la croissance économique, mais sans nouveaux voisins et sans trafic supplémentaire. En politiquement correct, cela s’appelle « préserver le caractère rural de la commune ». Quant aux édiles, ils craignent les travaux d’infrastructures : crèches, maisons-relais, écoles, stations d’épuration. Dans certaines communes rurales, les densités retenues par les nouveaux PAG sont ainsi ridiculement basses, au point d’en arriver encore à des maisons unifamiliales de plus de 300 mètres carrés.
Mais la densification bute également sur des résistances dans les milieux urbains. À la mi-février, le Mouvement Écologique s’opposait ainsi au nouveau PAP « Faïencerie », prévu sur les friches de Villeroy & Boch, critiquant entre autre le rehaussement de la densité, qui permettra de passer de 542 à 809 logements. « Eine derart hohe Verdichtung », estimait l’asbl, romprait « l’équilibre » entre densité de l’habitat, espaces ouverts et zones vertes. Une critique qui surprend, puisque les futurs citadins n’auront qu’une route à traverser pour respirer l’air du Bambësch.
On rencontre cette même frilosité (une sorte de syndrome HLM) dans le projet « Neischmelz » à Dudelange. Sur 36 hectares, le projet ne prévoit finalement que 1 575 logements, c’est-à-dire une densité relativement faible. (Au Kuebebierg, le Fonds du Kirchberg planifie actuellement 3 127 logements sur 33 hectares, soit deux fois plus qu’à Dudelange.) Dans ses déclarations publiques, le député-maire Dan Biancalana (LSAP) s’est toujours montré très réticent : « Die Stadt Düdelingen soll vernünftig und kontrolliert wachsen » (Wort, 2017) ; « Wir wollen nicht innerhalb kürzester Zeit so viel wachsen » (Tageblatt, 2020) ; « Le développement doit être modéré et contrôlé » (d’Land, janvier 2022). Lorsqu’on lui demande cette semaine pourquoi il n’a pas voulu massivement densifier le nouveau quartier Neischmelz, le maire et nouveau coprésident du LSAP répond en invoquant l’importance de l’« Akzeptanz » par la population locale, puis embraye sur la « qualité de vie » et les « très grands enjeux » du trafic et de la mobilité. Il rappelle que le projet ne prévoyait initialement que 600 logements, un chiffre ajusté à un petit millier en 2010, puis à 1 575, suite aux discussions avec le ministère et le Fonds du Logement.
En réalité, un faible degré de densité s’accordait mal avec une utilisation rationnelle des ressources budgétaires. La seule décontamination des sols coûtera ainsi 47 millions d’euros à l’État. (Arcelor-Mittal avait cédé les terrains pollués en 2016 pour un euro symbolique au Fonds du Logement.) À Belval, les calculs de l’Agora avaient été plus classiquement économiques. Le degré de pollution y a déterminé le coefficient de densité : Plus le sol était contaminé, plus on a construit en hauteur pour ainsi récupérer les frais d’assainissement. « Je ne vais pas vous cacher que la question des coûts a été soulevée lors de nos discussions avec les autorités étatiques », dit Biancalana.
Le premier projet de loi de financement pour Neischmelz avance un « grand total » de 507 millions d’euros, dont une moitié pour la revalorisation des terrains (contaminés), et l’autre pour la construction des logements (subventionnés). Les premiers appartements devraient être livrés en 2027-2028, au plus tôt. C’est-à-dire presque deux décennies après le début des planifications. Dans son avis évacué le 1er mars, la Chambre des salariés (CSL) s’inquiète, elle, du « stationnement assez restrictif » dans le futur quartier. Bien que la Gare Dudelange-Usines soit située à un jet de pierre, la CSL estime que « le nombre de places de stationnement volontairement limité risque de poser certains soucis ». Pas exactement une vision audacieuse de la part des syndicats, qui, par ailleurs, revendiquent des solutions audacieuses pour créer plus de logements.