Muno, Claudine: 21

Douce mélancolie fin de siècle

d'Lëtzebuerger Land vom 02.12.1999

Encore 27 jours et puis bing bang boum c'est la grande fête. Un nouveau millénaire s'installera. Trop de bonne heure, protestent les scientifiques, mais peu importe. Pour les uns qui ne sont jamais certains que du pire, le monde continuera sa lente mais irrémédiable descente aux enfers. Alors que pour les autres qui sont naturellement disposés à voir tout en rose, les trompettes du Jugement dernier ne sonneront pas de sitôt.

Pour la narratrice du roman tout récent de Claudine Muno (née en 1979), l'année 2000, c'est déjà du passé. Il y a eu une catastrophe outre-Atlantique. Des gens sont morts. De froid. De peur. Violemment. Volontairement. L'auteure reste dans le vague. Pas de détails sanglants. Pas de débauches d'imagination. Et voilà que ce qui au début se présente comme un récit de science-fiction n'est plus que le journal intime mi-insolite mi-banal d'une jeune femme fort mal dans sa peau. Une personne sombre et difficile à cerner d'un trait précis. D'autant plus qu'elle voltige souvent sans but ici et là et qu'elle se soucie davantage de bien mourir que de bien vivre.

"Enfant, je m'imaginais toujours mourir avant mes vingt-et-un ans", écrit-elle indolemment. Comme si la mort était la chose la plus naturelle qui soit. Une centaine de pages plus loin par contre, il s'agit soudain d'un mécanisme assez complexe. Puis aussi du seul moyen, paraît-il, de se rendre maître de son propre univers. Or, vu que le suicide ne fait pas partie des règles du jeu, rares sont ceux qui - selon Claudine Muno - excellent dans l'art de faire leur malle comme il faut.

Outre la mort, c'est la décadence qui jubile dans 21. Certains passages rappellent l'atmosphère morbide du film Fight Club de David Fincher : les parents vivant dans un grand immeuble aux plafonds et parquets craquelés où l'on entend à chaque pas comme un soupir fatigué. Quant au nihilisme des protagonistes des deux oeuvres, force est de constater que leur quête de liberté se heurte aux mêmes obstacles : l'apathie des gens plus insensibles qu'un roc. Leur ignorance. Leur amour du luxe. L'insoumise héroïne de Claudine Muno en est plus ou moins dégoûtée et se révolte. Contre presque tout et tous. À vingt ans, c'est bien normal.

On peut trouver pareillement normal qu'il y ait une bonne portion de naïveté dans sa conception du monde et de ses imperfections. Ainsi, on ne peut s'empêcher de sourire en lisant qu'"il est mauvais signe de se réfugier dans le passé afin d'oublier le présent". Ou que "chacun peut croire en ce qu'il veut, mais personne ne devrait se servir d'une religion afin d'intimider d'autres". De tels propos moralistes minent sensiblement la force narrative du roman. Son ton si détaché et mélancolique. Les détails soignés.

Et puis malheureusement, l'habile et minutieuse observatrice qu'est Claudine Muno s'embrouille sans cesse soit dans des dialogues d'une banalité effarante, soit dans des explications parfaitement inutiles. Il en résulte un texte très inégal. Les passages descriptifs sont vivants et réussis, tandis que ceux plus psychologiques frôlent le ridicule. Il aurait fallu trouver un équilibre, faire en sorte que la balance ne penche d'aucun côté. Ou bien fortifier l'histoire franchement trop mince.

Une dessinatrice de B.D. (quelques-unes de ses images sont imprimées dans le livre) et chanteuse (le groupe s'appelle The Madcap Laught, "une espèce de Genesis, de Pink Floyd du XXIe siècle") et fervente admiratrice de Jack Kerouac (!) veut retrouver sa mère secondaire à qui elle fut confiée à l'âge de six ans. Celle qui a compris "qu'il ne faut jamais, jamais se perdre au point d'oublier pourquoi on est où on est". Annie Finn. La femme qu'elle veut devenir un jour. Son alter ego. 

Encore une fois on pense aux deux âmes disputant le corps de l'homme-sans-nom dans Fight Club. L'opposition du bon et du méchant. De l'obscurité et de la lumière. Du jour et de la nuit. Du moi et de l'autre. Dans 21, tout tourne autour de ces dualités. Jusqu'au point final. Lorsque la narratrice dit: "C'est moi", et qu'elle est enfin devenue quelqu'un portant un nom. Quelqu'un qui vit quelque part. C'est pas si évident apparemment.

Claudine Muno : 21, roman; Op der Lay ; 1999 ; 127 pages

 

 

Gabrielle Seil
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