Théâtre

À deux doigts de se brûler les ailes

d'Lëtzebuerger Land vom 21.02.2020

Sentiment partagé au sortir d’une des deux représentations, la semaine passée au Escher Theater, de La Mouche de Valérie Lesort et Christian Hecq, duo à la scène et à la vie, qui semble ici avoir perdu un peu du modjo trouvé sur leurs précédentes collaborations. Après Vingt mille lieues sous les mers (Molière de la création visuelle en 2016), Le Domino noir ou encore Ercole Amante, La Mouche paraît en effet un peu lisse, malgré un décor grandiose et ce personnage central déroutant et dégoûtant qu’interprète Hecq. Si la pièce a bien ses coups d’éclats, elle bute sur l’essentiel, manquant de peu le sous-texte imbibé dans la nouvelle source signée George Langelaan.

L’homme-mouche est un personnage iconique de la culture populaire. Si déjà Méliès en 1902, s’amusait de la créature dans son film L’homme Mouche, par la suite, c’est la littérature de science-fiction horrifique qui s’empare du « joujou » au fort potentiel. The Fly, une nouvelle de l’auteur franco-britannique George Langelaan, paraît dans Playboy Magazine en juin 1957 aux USA et inspire auteurs de bande dessinée (The Amazing Spider-Man parît en 76 ) et réalisateurs de films, dont David Cronenberg (The Fly, 1986) fut le plus célèbre.

C’est peu dire par rapport à l’engouement que provoque cette figure emblématique d’homme mouche et Valérie Lesort, comme Christian Hecq n’y ont pas échappé. La première, plasticienne de formation, collaboratrice de Besson, Rappeneau, Durringer, Ribes, avant de s’associer viscéralement à son compagnon, le comédien belge Christian Hecq. Ce dernier, sociétaire de la Comédie-Française, maintes fois primé aux Molières, a connu le succès dans le théâtre privé, comme public, au cinéma et à la télévision. De fait, d’influences diverses, chez Lesort et Hecq, on s’éloigne plutôt pas mal des références associées à ce célèbre « thérianthrope ». À tort ou à raison, car s’il est toujours grisant de voir de nouvelles interprétations des classiques, il est de mise de conserver le propos en filigrane, celui caché, qui tient la portée symbolique d’une œuvre. Ici, c’est sous une couverture boulevardesque, caricaturale, voire bouffonne, que ce débat est malheureusement enseveli.

Aussi, si le duo conserve l’obscur, le glauque et le morbide de la fable source, il en vient à changer l’histoire, proposer une relecture burlesque du récit de George Langelaan. Pourquoi pas ? Mais face à ce méli-mélo d’ingrédients, chinés chez les Bidochon, les Deschiens, ou dans l’épisode La soucoupe et le perroquet de l’émission Strip-Tease (1993), on a du mal à retrouver la force symbolique du récit original qui, comme dans Elephant Man, dessine la vulnérabilité de ce que la société nomme « monstre ».

Ici, dans un village paumé, au cœur des années 60, Robert (Christian Hecq), le personnage principal, est un vieux garçon, déficient et dément, élaborant un téléport dans sa chambre/garage. Couvé par Odette, sa mère (Christine Murillo), avide de potins, hypocrite au demeurant, qui vit tout à côté dans une caravane avec son petit chien, ce scientifique du dimanche va d’expérience en expérience, plus ou moins fructueuses, trouver le moyen de se téléporter, pour de vrai. Petit problème : une mouche s’est infiltrée dans le téléport avec lui…

Si les premières minutes sont relativement molles, le temps d’absorber le décor (Audrey Vuong) plutôt grandiose, la suite plonge dans du théâtre de boulevard, gras de sur-articulation et gesticulation. Ce n’est qu’après la transformation de Robert que l’ambiance change et qu’on retrouve les lignes de fuite d’antan, devant cet homme-mouche, répugnant, diabolique et monstrueux que fait Christian Hecq.

L’aspect premier degré de la nouvelle de Langelaan, écrite pour faire peur, comme un roman policier plein d’angoisse et de suspense, est majoritairement effacé pour laisser place au rire. Ce que Cronenberg avait plutôt bien absorbé dans son film, en y ajoutant le glamour d’une histoire d’amour bravant toutes les différences – une morale à la Belle et la Bête –, Lesort et Hecq le bafouent au profit d’une pièce rigolote mais moins profonde.

Il y a dans La Mouche tous les ingrédients d’un bon spectacle mais la semoule ne gonfle pas… Hormis, Christian Hecq, étrange, effrayant, bon, et ce décor incroyablement saisissant, cette incartade au théâtre, de ce chef-d’œuvre de la littérature de genre, ne convainc qu’à moitié. On a bien compris l’idée de téléporter le roman noir en farce, et là devant, quand les puristes crieront au « dommage », les autres riront à gorge déployée. Le crime profite toujours à quelqu’un… Enfin, cette Mouche ressemble à du théâtre de série B, sans péjorative dans le terme, qui plaira tout de même à qui de droit.

Godefroy Gordet
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