Ménages monoparentaux

Faire avec ce qu’on a

d'Lëtzebuerger Land vom 23.09.2016

« Oh, vous savez : quand je rentre après une journée de boulot et que je viens de faire à manger et de coucher les enfants, je n’ai plus ni le temps ni l’énergie de m’occuper des paperasses. Et je n’ai pas d’argent pour engager un expert qui s’occupe de l’optimisation de mes finances. » Nicole1, 43 ans, séparée et élevant seule ses trois enfants, correspond pourtant à cent pour cent au public-cible des mesures de « solidarité avec les familles monoparentales » de la réforme fiscale : travaillant à plein temps, elle gagne aux alentours de 42 000 euros bruts par an – et se situe ainsi exactement au pic du graphique du ministère des Finances montrant le gain fiscal annuel après la réforme par rapport au revenu imposable d’un ménage de la classe d’impôt 1A.

Au Luxembourg, 5,1 pour cent de la population vivent dans des ménages monoparentaux, c’est légèrement moins qu’en Belgique, en France ou en Allemagne, selon la dernière étude Regards sur les ménages monoparentaux du Statec, publiée en février de cette année (et qui se base sur des chiffres datant de 2014). On sait désormais que les ménages monoparentaux sont les plus touchés par le risque de pauvreté. Selon la définition officielle de la pauvreté équivalant à un revenu se situant en-dessous de soixante pour cent du revenu médian, quatorze pour cent de l’ensemble des individus « pauvres » vivent dans des ménages monoparentaux. La monoparentalité est largement féminine, à plus de 82 pour cent. Avec ses trois enfants de trois, cinq et treize ans, Nicole fait partie d’une minorité de moins de neuf pour cent des « personnes seules avec enfants à charge » parmi les ménages.

Conscient de la vulnérabilité des ménages monoparentaux, devant laquelle mettent en garde aussi bien les froides tabelles statistiques que les ONGs travaillant en faveur des familles pauvres, le gouvernement a annoncé des « mesures spécifiques pour aider concrètement les ménages concernés », lit-on dans l’exposé des motifs du projet de loi n°7020 sur la mise en œuvre de la réforme fiscale. La principale mesure en est le doublement du crédit d’impôts monoparental (CIM) des 750 euros actuels à 1 500 euros. Toutefois, la hauteur de ce crédit d’impôt dépend du revenu de la personne imposable : il s’élève à 1 500 euros pour un revenu imposable inférieur à 35 000 euros annuels et décroit, selon un calcul complexe, jusqu’à ne plus atteindre que 750 euros au-delà d’un revenu imposable de 105 000 euros annuels. En outre en sont déduites les rentes alimentaires de plus de 184 euros mensuels (une augmentation de ce plafond de 24 euros par rapport à la somme actuelle).

Des rentes alimentaires régulières, Nicole en rêve. N’ayant pas été mariée, elle a essayé de se séparer en de bons termes avec le père de ses enfants afin qu’ils gardent une relation saine. Donc, après avoir annulé leur Pacs, elle compte sur le bon sens de ce dernier pour le soutien financier et logistique des enfants. L’homme gagne très bien sa vie. D’ailleurs, c’était un ses gros chocs d’après la séparation que de se retrouver seule avec un salaire somme toute modeste pour un plein temps, après avoir vécu dans une aisance matérielle assez agréable. « C’est dur de ne pas avoir de ‘compensation du niveau de vie’ après une séparation, dit-elle. Désormais, c’est simple. Je n’essaie pas de faire des acrobaties sur ma déclaration d’impôt. Aujourd’hui, je ne dépense pas plus que ce que j’ai. » Finis les week-ends à l’étranger sur un coup de tête. Les vêtements pour enfants, elle les récupère de ses copines et les vacances, c’est là où c’est gratuit. Les sorties le soir ne sont plus que des souvenirs, parce qu’enchaîner cinéma et restaurant, plus le babysitter, c’est beaucoup trop cher. Elle pourrait le faire les jours où les enfants sont chez leur père, mais souvent, exténuée, elle profite du calme dans la maison pour lire ou regarder un film. Nicole a beaucoup de chance d’avoir sa propre maison, sur laquelle elle rembourse un prêt. C’est elle qui touche les 1 100 euros d’allocations familiales.

Mais les fins de mois sont toujours très serrés. Dans les indicateurs économiques du Statec, les personnes seules avec enfants sont trois fois plus nombreuses à avoir des difficultés à joindre les deux bouts que les autres ménages (65,9 pour cent). Presque la moitié, 43,5 pour cent sont dans l’impossibilité de faire une semaine de vacances loin du domicile et plus de la moitié, 58,4 pour cent, ne peuvent pas couvrir une dépense imprévue.

Alors, bien sûr, Nicole a vite fait le calcul de ce qu’elle a à gagner de la réforme fiscale sur la calculatrice qu’on trouve sur le site dédié du gouvernement (www.reforme-fiscale.public.lu) : en théorie, sans tenir compte de toutes les autres variables, elle ferait une économie de 1 007 euros annuels (ou 27 pour cent) grâce à l’adaptation du barème fiscal, économie à laquelle s’ajoutera le crédit d’impôt de 1 500 euros. Plus la majoration de l’abattement forfaitaire pour frais de garde d’enfants, qui passera de 3 600 euros à 5 400 euros. Le Statec affirme que les ménages monoparentaux « recourent plus souvent à la garde d’enfants, surtout institutionnalisée ».

Jusqu’ici, pour la garde des enfants, Nicole n’a guère le choix : le cadet est à la crèche, la fille du milieu à l’école puis à la maison-relais et la grande au lycée. « Je ne peux pas faire autrement que de les laisser dans des structures d’accueil lorsque je travaille – ce qui fait que j’ai mauvaise conscience en permanence », affirme Nicole. Même si, vu sa situation, elle ne paie presque rien pour les chèques-services, elle préfèrerait pouvoir être plus présente, les après-midi libres du mardi ou jeudi par exemple, ou au moins pouvoir leur payer une nounou. Or, ce n’est pas possible actuellement, il lui faut travailler à plein temps pour joindre les deux bouts. C’est d’ailleurs – et beaucoup de parents qui sont seuls avec leurs enfants le racontent – ce qu’elle regrette le plus : de ne pas pouvoir être là pour les enfants. Parce que toujours tout faire toute seule – changer les ampoules et réparer les vélos des enfants, monter des meubles et faire les courses et la cuisine – c’est certes éreintant, surtout lorsqu’on a rarement une journée à souffler. Mais le pire pour elle, c’est de ne pas être plus flexible, de ne pas pouvoir travailler à mi-temps pour consacrer plus de temps aux enfants. À cela, aucun crédit d’impôt ne pourra changer grand chose.

1 Nom modifié par la rédaction
josée hansen
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