Entretien avec Gospel Emcee

Hip hop spirituel

d'Lëtzebuerger Land vom 29.09.2005

Rendez-vous était pris pendant la pause de midi. La chance nous souriant, nous nous sommes installés dans le parc de la Ville de Luxembourg pour procéder à l'exercice de l'interview. Alain Tshinza, alias Gospel Emcee a bien travaillé pour la rentrée 2005. La sortie de son EP Bonne Cause ainsi que quelques concerts sont au programme des prochaines semaines. Un jeune artiste qui n'est pas inconnu sur la scène hip hop luxembourgeoise se laisse donc prendre au jeu des questions-réponses.

d'Land: Quelle signification donnes-tu à ton nom de scène, Gospel Emcee??

Gospel Emcee: Mon nom résume tout l'engagement que je veux transmettre à travers ma musique, « God's Only Son Provides Everlasting Life ; Every Man Can Enjoy Eternity » !

Quel programme dans ce nom ! Donc, la spiritualité joue un rôle important dans ta vie ?

Oui, tout à fait. Je suis chrétien, de confession protestante (évangélique) et je suis pratiquant. Ma musique est le reflet de mon âme, de ma relation directe avec Dieu. Je pense que Dieu nous a créés pour un but précis, se mettre au service des autres. J'essaie de faire cela au quotidien, à travers la musique mais aussi à travers les actions et les comportements de tous les jours.

Tes textes traitent surtout des thèmes d'actualité. Tu jettes un regard assez critique sur la société luxembourgeoise. Quels reproches peux-tu lui faire ?

À mon retour au pays après mes années d'études universitaires, je dois dire que j'étais assez horrifié. Je me disais toujours que le Luxembourg était un pays en inertie où rien ne bougeait, où les gens vivaient dans leur cocon, sans penser au monde qui les entoure. J'avais peur de ne pas pouvoir vivre ma foi dans une société régie par la consommation. Mais j'ai tout de même réalisé que les Luxembourgeois avaient au fond d'eux une soif de voir les choses changer et que tout n'était pas aussi négatif que je l'avais imaginé. Au début, moi-même je ne voulais plus m'engager. À mon retour de Bruxelles, je ne voulais plus faire de musique, pensant que je devais me ranger, prendre un boulot et que peut-être j'étais devenu trop vieux pour faire de la musique (rires). Mais j'ai vite réalisé que je ne pouvais pas vivre de cette façon-là, que je n'étais pas encore «vieux». J'ai concrètement repris le chemin de la musique, grâce à ma rencontre avec divers musiciens, dont Fred Baus. Il a sollicité l'un de mes morceaux pour Grand Duchy Grooves. Lorsque j'ai repris le mic', j'ai réalisé que j'avais besoin de cela, que je n'avais pas trouvé de meilleur moyen pour exprimer ce que je ressens.

Ainsi on en vient à ton actualité, la sortie de ton EP Bonne Cause, prévue pour aujourd'hui. Peux-tu nous en dire quelques mots??

Lors de la release party de la compilation Grand Duchy Grooves, j'ai donné un concert à l'Elevator. Je me suis repris au jeu, et j'ai rapidement pensé que je devais sortir un nouvel album. J'ai, dans ma longue carrière, enregistré beaucoup de démos, mais je n'ai jamais enregistré de « vrai » album. Cette fois-ci, j'ai voulu faire quelque chose de complet, de concret. J'ai travaillé avec Fano et Chi, les deux meilleurs producteurs hip hop de la scène luxembourgeoise. Le projet est porté par nous trois, nous avons travaillé ensemble jusque dans les derniers détails. J'écris les textes, mais Fano et Chi m'ont aidé à finir le projet, jusqu'au mastering que nous avons revu ensemble. À travers cet album, je veux honorer la scène hip hop du Luxembourg en offrant aux auditeurs un travail professionnel et abouti. L'EP est constitué de quelques morceaux, deux versions différentes du single Bonne Cause, deux morceaux instrumentaux et un morceau a capella. Je pense qu'il y en aura pour chacun, même si on n'est pas fan de hip hop ou de rap.

Parlons encore un peu de la scène hip hop, luxembourgeoise et internationale. Beaucoup de clichés accompagnent cette scène. Qu'en penses-tu?

C'est vrai que lorsqu'on regarde la télé et qu'on voit les rappeurs se trimballer dans de grosses voitures avec de belles filles à leurs bras, cela peut faire rigoler. Mais ce n'est pas toujours loin de la réalité non plus. Malheureusement notre société est tombée dans le paraître plutôt que dans l'être. Les gens essaient de se conformer à un moule qui ne leur convient pas toujours. Bon nombre de rappeurs se mettent souvent en scène de façon extravagante pour s'évader loin des réalités quotidiennes. Mais je pense que c'est un peu la menace pour tout artiste qui se retrouve dans une situation de notoriété. Le contact avec la réalité est vite rompu. Le monde dans lequel les artistes connus évoluent devient une sorte de rêve, de monde irréel. C'est le reproche que l'on peut faire à cette société de consommation dirigée par de grandes entreprises. MTV en fait partie. Pour moi, MTV est en quelque sorte le nouveau Vatican, «MTV rules the world». Les jeunes talents se prennent au jeu, se laissant influencer par ce qui se passe sur leur écran télé. C'est un défi pour l'artiste de rester sobre, de ne pas se soumettre aux dernières modes proposées par cette grosse machine.

Penses-tu que l'image du rappeur soit ternie à cause des grandes chaînes??

Je pense tout d'abord qu'il faut remonter à la source du rap. Le rap est l'expression ultime de notre société. Le rap se construit autour des mots, autour de la parole articulée. Le rap ne peut se faire qu'avec honnêteté. Malheureusement, comme tout autre courant de notre époque, il peut y avoir des détracteurs. Toute l'énergie positive que l'on peut tirer des mots et particulièrement du rap, peut également être utilisée de façon destructrice. Il n'y a qu'à écouter les propos de certains rappeurs à la mode. Mais je pense aussi que beaucoup d'artistes se font manipuler trop facilement. Ceci étant dit - et je ne parle que pour moi -, c'est ma responsabilité de me laisser manipuler ou pas.

Comment te situes-tu parmi les artistes de la scène luxembourgeoise?

La scène luxembourgeoise est assez vaste. La scène hip hop luxembourgeois compte déjà tellement d'actifs. C'est difficile de s'y situer. Mais je sais que j'ai la maturité nécessaire pour être un artiste.

Sortie de l'EP Bonne cause aujourd'hui, 30 septembre, chez tous les bons disquaires (7,50 euros) ; édition limitée sur vinyle; concert de Gospel Emcee ce soir à la Rockhal, dans le cadre du festival Screaming fields of sonic love ; la release party officielle se déroulera le 27 octobre à DaliTec à Bertrange. Pour plus d'informations : www.grandduchygrooves.lu

 

 

Joanne Goebbels
© 2024 d’Lëtzebuerger Land