La question des violences fondées sur le genre a été prise à bras le corps lors des premières assises sur le sujet. Les attentes du terrain sont énormes

Mega vs. MAGA

Yuriko Backes, lundi, lors des assises
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 24.01.2025

Une tâche colossale (« eng Mammutaufgab »). La ministre de l’Égalité des genres et de la Diversité, Yuriko Backes (DP) a choisi ses mots pour décrier l’ampleur du défi que représente la lutte contre les violences fondée sur le genre. Lundi, elle s’adressait à un parterre de 150 acteurs de terrain, représentant les associations et les institutions qui œuvrent dans ce domaine. La ministre a qualifié la journée de moment « d’historique » car ces « assises des violences fondées sur le genre » étaient les premières sur ce sujet longtemps occulté ou minimisé. Aujourd’hui, notamment après le procès Pelicot, les questions des violences sexuelles s’invitent au cœur du débat public et soulignent la dimension systémique de ces agressions. Cependant, en ce jour d’investiture de Donald Trump, la ministre a dénoncé un « contexte est très difficile où le climat anti-genre alimenté sur les réseaux sociaux prépare la voie des violences dans toutes les sphères de vie et pose un énorme défi à la politique. »

Pour répondre aux attentes du terrain et remplir les obligations citées dans la Convention d’Istanbul, ratifiée par le Luxembourg en 2018, « on ne part pas de zéro, mais il manque un cadre stratégique global », a pointé la ministre. Elle insiste sur la dimension pluridisciplinaire et transversale que doit revêtir cette politique. Aussi, un groupe de travail interministériel rassemblant pas moins de douze ministères a été mis sur pied : les Affaires intérieures, la Justice, la Santé ou l’Éducation sont aux premières lignes, mais le Travail, la Culture ou le Sport doivent aussi être partie prenante. « Le Mega est le plus petit et le moins doté de tous les ministères. Nous ne pouvons pas tout faire tout seul », a ajouté la ministre face au Land. Elle prône en outre une démarche participative impliquant les acteurs de terrain, ce qui était le but des assises. À travers divers ateliers, centrés sur les besoins en formation, la sensibilisation, la collecte de données, la prise en charge des victimes, et l’encadrement des auteurs, les participantes et participants ont présenté leurs constats, revendications et leurs pistes d’amélioration. Les résultats de ces consultations devraient ensuite être intégrés dans un plan d’action national contre la violence basée sur le genre, promis avant l’été.

Il importe d’abord de cerner le phénomène des violences fondée sur le genre, un terme préféré à ceux de violences faites aux femmes, violences sexistes ou violences machistes, pour bien signifier le caractère global. Le spectre est large : violences sexuelles, physiques, psychologiques, économiques, y compris la menace de ces actes. Ces termes sont inscrits dans la Convention d’Istanbul. « Ce sont principalement les femmes et les filles qui sont victimes de tels actes. Certes il existe des victimes masculines, mais la Convention s’oppose clairement à une conception neutralisante des termes qui mettrait les deux dans un rapport symétrique », prévient Anna Matteoli, chargée de direction du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles du Bas-Rhin lors de son intervention.

La conférencière met en garde contre les stéréotypes et biais que nous avons tous dans l’approche de ces sujets et qui doivent être conscientisés chez les professionnels qui encadrent, accueillent ou suivent les victimes. Elle parle d’un continuum de violences qui peut partir d’agissements sexistes jusqu’aux comportements les plus graves. « Le point commun de toutes ces violences, c’est la domination. L’enjeu d’un viol n’est pas le plaisir de l’auteur mais la maîtrise de la victime. De même, les violences domestiques ne sont pas l’expression d’un conflit mais bien la volonté de domination d’un individu sur l’autre. »

Anna Matteoli parle aussi du mythe du « vrai viol » ou de la « bonne victime ». « Il est faux de croire que toutes les victimes se défendent et résistent de toutes leur force. La sidération qui empêche toute action peut les paralyser. On peut aussi croire que la victime va porter plainte immédiatement, mais les signalements peuvent être tardifs… » Elle relate un arrêt de la Cours européenne des droits de l’homme contre un jugement en Italie. Le juge italien n’avait pas condamné un viol parce que la victime portait de la lingerie rouge et était bisexuelle ! « Les juges, les professeurs de droits, les policiers, les médecins, tout le monde peut être influencé par des stéréotypes profondément ancrés dans une société patriarcale. C’est pour cela que la sensibilisation et l’éducation sont si importantes. »

Une des revendications majeures des associations qui aident et accompagnent les victimes est la centralisation des services policiers, médicaux, juridiques et sociaux sous un même toit. « Il faut éviter que ce soit à la victime de courir de service en service pour raconter plusieurs fois son histoire », résume Ana Pinto, présidente de l’association La voix des survivant·e·s. Yuriko Backes a annoncé que le Centre national pour victimes de violences (CNVV) sera ouvert, dans une phase pilote, dès le mois d’avril. Le but est d’offrir un accueil à toute personne victime de violences, sans distinction d’âge (mineure et majeure) et de type de violences (sexuelles, physiques et psychologiques). « Il renforce les dispositifs existants en offrant une prise en charge globale et centralisée en primo-accueil, et une réorientation en collaboration avec les acteurs de soins, police et associations », précise Christopher Witry, attaché au ministère de l’Égalité des genres au Land. À terme, le lieu (qui n’est pas encore annoncé, mais qui sera « en ville, accessible et proche des structures médicales ») sera ouvert en permanence, ce qui ne sera pas le cas dans la phase pilote. La Croix rouge a été choisie comme gestionnaire de ce projet « pour son expertise dans la mise en place de structures et ses compétences opérationnelles », justifie-t-il. Cinq postes sont prévus : un chargé de direction et des infirmiers, assistantes sociales et éducateurs gradués. Les détails du fonctionnement ne sont pas encore présentés, mais certaines associations s’inquiètent de la prise en charge des enfants qui accompagneraient une victime, de l’absence de médecin sur place ou de la formation des intervenants dans des cas spécifiques comme des personnes transgenres ou des migrantes. « Je comprends l’impatience des personnes concernées, mais Rome ne s’est pas construite en un jour. Avançons déjà avec le projet pilote », explique la ministre.

Au lendemain des assises, les députés ont consacré plusieurs heures à débattre sur ces problématiques, à l’interpellation de Marc Baum (Déi Lénk). Une discussion demandée depuis le mois d’avril à la suite du rapport du Grevio qui évalue la façon dont le Luxembourg a appliqué la convention d’Istanbul. Le député a reformulé plusieurs critiques déjà énoncées lors des assises : un cadre juridique qui ne tient pas en compte des violences psychologiques ou économiques, un manque de formation spécifique des policiers ou des magistrats et la quasi-absence de prévention notamment au niveau scolaire. Il a aussi pointé le manque de place dans les foyers d’accueil et les structures d’urgence, les défauts de prise en charge de l’intersectionnalité (« les femmes afro-descendantes sont moins prises au sérieux aux urgences et à la police ») ou la minorisation des risques de récidive.

Les interventions des députées ont emboîté le pas à ces considérations. Nathalie Morgenthaler (CSV) a insisté sur l’importance d’une helpline qui fonctionne à toute heure et sur la sensibilisation dès le plus jeune âge. « Il n’existe aucune obligation pour les écoles de sensibiliser les élèves au consentement ou aux questions de violences de genre. » Joëlle Welfring (Déi Gréng) ajoute la dimension du contrôle coercitif qui n’est pas présent dans la loi luxembourgeoise contrairement à la Grande-Bretagne ou à la Belgique. « C’est un problème sociétal structurel, pour lequel il faut une réponse globale. » Mandy Minella (DP) ou Sven Clement (Piraten) plaide pour l’inscription du terme féminicide comme circonstance aggravante d’un homicide. La députée libérale martèle aussi les messages de consentement qui doivent être mieux diffusés : « Quand ce n’est pas oui, c’est non ! ». Claire Delcourt (LSAP) constate le manque de soutien aux victimes dans leur parcours pour porter plainte, et pour apporter les preuves de ce qu’elles ont subi. Finalement, Dan Hardy (ADR) fut le seul à ne pas remercier Marc Baum pour avoir lancé le débat. Il a notamment réitéré le refus de son parti de voir les questions de genre abordées à l’école.

En fin de journée parlementaire, Yuriko Backes a réitéré les engagements de l’accord de coalition (« élaborer une stratégie globale de lutte contre toutes les formes de violence basées sur le genre et couvertes par la convention dite d’Istanbul ») et promis d’aller au-delà avec un plan d’action national. Au vu du nombre de ministères concernés, il reste à savoir quel poids elle aura pour imposer cette stratégie à ses homologues qui n’ont pas forcément le même agenda et les mêmes priorités. C’est pour cela que La voix des survivant·e·s plaide pour une loi-cadre qui couvre l’ensemble des ressorts. Sa pétition a atteint plus de 5 000 signatures.

France Clarinval
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