Quelques jours avant le début de la COP30, Bill Gates a publié sur son blog un article intitulé « Three tough truths on the climate » qui a soulevé pas mal de poussière. Le milliardaire fondateur de Microsoft y soutient que l’humanité a fait des progrès considérables en matière de lutte contre le changement climatique et qu’il convient de continuer de soutenir les percées qui permettent d’avancer vers la neutralité des émissions, mais que pour ce faire il ne saurait être question d’opérer des coupes dans les budgets santé et développement qui aident les gens à être résilients face au changement climatique. Il est donc selon lui « temps de mettre le bien-être humain au centre de nos stratégies climat, ce qui inclut de réduire à zéro le ‘prémium vert’ et d’améliorer l’agriculture et la santé dans les pays pauvres ».
Le propos est habile. En plein « green backlash », juste avant la conférence de Belém, Gates, du haut de sa stature de superphilanthrope des prétextes échevelés pour l’inaction. Même Al Gore, qui est souvent apparu à ses côtés lors de conférences internationales consacrées à la crise climatique, s’est montré dégoûté. Dans un entretien au Guardian, l’ancien vice-président américain a exprimé son agacement face à la suggestion de mettre la pédale douce sur les efforts en matière de climat : « Tous les climatologues que je connais et respecte ont levé les bras au ciel, disant : ‘Que diable va-t-il inventer ?‘ ». La seule motivation de Gates est, selon Gore, de plaire au négationniste-en-chef qui habite la Maison Blanche. Éviter à tout prix de se faire houspiller ou punir par Donald Trump, qui s’acharne à perpétuer le règne des énergies fossiles, semble être devenu la boussole morale de bon nombre de politiques et hommes d’affaires.
Car opposer politiques climatiques et politiques de santé et de développement est un argument de parfaite mauvaise foi, de type « homme de paille » selon l’expression anglo-saxonne. Il consiste à mettre en scène des débats avec des personnes imaginaires, leur prêtant des affirmations que nul ne défend pour faire valoir son point de vue. Il n’existe en réalité aucun exemple de pays ayant décidé de réduire les premières pour préserver ou amplifier les secondes. Au contraire, de nombreux gouvernements des pays riches tendent aujourd’hui à raboter les deux en même temps, que ce soit au nom de l’orthodoxie budgétaire ou du repli sur soi d’inspiration xénophobe, ou des deux à la fois.
Pour défendre son propos, Gates cite l’exemple d’un « pays à faibles revenus » qui selon lui aurait décidé il y a quelques années de réduire les émissions en bannissant les fertilisants synthétiques, avec pour conséquence un écroulement des revenus des agriculteurs, une disponibilité bien moindre des produits alimentaires et une envolée des prix. « Le pays a été frappé par une crise parce que le gouvernement valorisait la réduction des émissions davantage que d’autres choses importantes », affirme-t-il. Comme l’explique Tim Baxter sur son blog, si le gouvernement du Sri Lanka a décidé en 2021 de bannir les produits agrochimiques synthétiques (et non les seuls fertilisants comme le dit Gates), c’est en réponse à une fréquence élevée de maladies du rein. L’interdiction a d’abord visé le glyphosate pour ensuite inclure l’ensemble des produits phytosanitaires de synthèse. La mesure avait aussi pour but, eu égard aux prix élevés de ces produits, de préserver les ressources limitées du pays et d’améliorer sa balance commerciale. Certes, elle a eu des conséquences désastreuses, mais elle n’était en rien motivée par des considérations de réduction des émissions. Au vu de cette accumulation d’inexactitudes et d’à-peu-près, Baxter demande sarcastiquement pourquoi Gates a choisi de ne pas nommer le pays en question, alors que son papier regorge par ailleurs de détails minutieux.
Un autre homme de paille appelé à la rescousse par Gates est l’activiste climatique, qui desservirait la cause qu’il entend défendre en prophétisant un effondrement imminent de la civilisation, ce qui favoriserait la paralysie. Même s’il existe des mouvances « effondristes » au sein du mouvement climatique, il est faux d’affirmer qu’elles professent l’inaction au nom d’un supposé « scénario du Jour du Jugement dernier ». Et, au contraire, si les autres mouvances, largement majoritaires, insistent systématiquement sur l’urgence d’une sortie des énergies fossiles, c’est parce que c’est la priorité prônée par l’immense majorité des scientifiques.
Le technosolutionniste Bill Gates reste arc-bouté sur une priorisation des « miracles énergétiques » et de l’innovation censés résoudre tous les problèmes des pays du Sud. À l’arrivée, au vu du piètre résultat de la COP30, qui, pour sauver ce qui reste du multilatéralisme, a dû renoncer à acter la nécessité d’un abandon urgent des énergies fossiles, il faut reconnaître qu’il joue désormais ouvertement dans le camp des obstructionnistes.