Du 26 au 28 juin s’est tenue à Villepinte, dans la banlieue nord de Paris, la troisième édition de la World Nuclear Exhibition (WNE), pendant laquelle les organisateurs ont proposé aux quelque 20 000 visiteurs de venir saisir « les nombreuses opportunités dans ce marché en pleine croissance ».
En effet, malgré le lourd héritage des catastrophes de Tchernobyl en 1986 et de Fukushima en 2011, qui a conduit plusieurs pays à se désengager du nucléaire, et en dépit de l’essor des énergies renouvelables, l’industrie de l’atome affiche un dynamisme que de nombreux secteurs pourraient lui envier.
Le nucléaire bénéficie en effet d’un atout important, à l’heure de la lutte contre le changement climatique : ses émissions quasiment nulles de gaz à effet de serre.
Cet argument de poids a convaincu notamment la Chine ou l’Inde, qui voudraient réduire leur utilisation du charbon, très polluant. Ces deux pays devraient représenter d’ici 2040 plus de 90 pour cent de la croissance des capacités de production nucléaires dans le monde, selon un scénario de l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
C’est près de Taishan, au sud de la Chine, qu’a démarré le 29 juin le premier réacteur de troisième génération (dit EPR) au monde. Et une centrale géante avec six réacteurs, d’un coût de 17 milliards de dollars est en construction à Jaitapur sur la côte ouest de l’Inde.
Au total dans le monde, une soixantaine de réacteurs sont en construction, et, dans la mesure où parmi les 451 qui sont en activité, les fermetures interviennent pour l’instant au compte-gouttes, ce programme représente un accroissement de 13,5 pour cent du parc existant.
La géographie des nouvelles constructions est révélatrice. Dans les trois pays actuellement les plus dotés, les États-Unis, la France et le Japon, qui rassemblent 200 réacteurs soit près de 45 pour cent du parc mondial, on ne compte actuellement que cinq projets.
Dans la plupart des pays d’Europe déjà équipés et au Canada il n’existe aucun chantier en cours : les centrales actuelles fermeront progressivement et ne seront pas remplacées. En revanche, la Chine et l’Inde, mais aussi la Corée du sud et la Russie, des pays déjà bien pourvus (123 réacteurs à eux quatre) ont 34 chantiers en cours, qui permettront d’accroître leur parc total de plus de 27 pour cent en nombre d’unités.
Surtout, des pays encore vierges de toute centrale nucléaire en verront bientôt surgir : c’est le cas de la Turquie, du Bangladesh, de la Biélorussie, de l’Égypte ou des Émirats Arabes Unis.
Selon l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, trente pays qui ne recourent pas aujourd’hui à l’énergie nucléaire travaillent avec elle pour monter leur propre programme.
La conversion de nouveaux pays, alors même que ceux qui y sont engagés depuis longtemps cherchent à en sortir, non sans retards et difficultés, s’explique par le fait qu’il s’agit d’une énergie réputée « propre » et peu coûteuse, mais aussi par une raison technique.
Au salon WTE de Paris, on a en effet beaucoup insisté sur les possibilités offertes par les « small modular reactors », des petits réacteurs de trente à 300 mégawatts, très loin de la puissance des réacteurs pressurisés (EPR) qui atteignent 1 600 mégawatts. Moins coûteux à cause de leur taille et de la possibilité de les fabriquer en série, les petits réacteurs sont aussi très adaptés à des zones géographiques isolées ou difficiles d’accès. Certains sont même transportables : en 2019 seront mis en service à Pevek, à l’extrémité nord-est de la Russie, deux réacteurs de 35 mégawatts flottants !
La société russe Rosatom et sa concurrente chinoise CNNC s’en sont fait une spécialité. Rosatom, seule dans le monde à intégrer la totalité de la filière nucléaire (de l’extraction de l’uranium à la gestion des déchets en passant par la conception et l’exploitation des centrales), a 28 réacteurs en chantier, dont 22 à l’étranger dans treize pays différents, et treize autres en projet. Ses réacteurs flottants intéressent des pays comme l’Indonésie, qui ont des littoraux étendus.
Chez les « nouveaux convertis » la sécurité des installations, une question-clé en matière atomique, serait étroitement contrôlée par des organismes tiers. Dans ce domaine comme dans d’autres, le WTE a montré des avancées importantes, grâce notamment au numérique. La recherche atomique civile est active en Asie, en Russie mais aussi au Moyen-Orient et même dans la Silicon Valley, où certains acteurs s’intéressent au nucléaire.
Pour autant, la « renaissance » attendue depuis une dixaine d’années n’a pas eu lieu. En 2017, selon le décompte du World Nuclear Industry Status Report, seuls quatre réacteurs ont démarré (trois en Chine et un au Pakistan), tandis que quatre autres ont été mis en chantier (Bangladesh, Chine, Corée du Sud et Inde). Comme ils sont globalement d’une taille plus réduite que leurs prédécesseurs ils génèrent moins d’effets induits sur les économies locales. Dans le monde actuellement il n’existe que cinq « gros projets » sous forme d’EPR.
Dans les pays déjà équipés et qui, souhaitant réduire la part du nucléaire dans leur mix énergétique, n’ont aucun projet de construction de nouvelles centrales, l’activité autour du nucléaire (hors exportation de matériel) sera surtout alimentée par des travaux d’amélioration et de modernisation tendant à prolonger l’existence des réacteurs existants. Il faut y ajouter les perspectives offertes par le démantèlement ou la déconstruction du parc actuel, qui vont prendre plusieurs années et les travaux d’enfouissement des déchets. Cela représente des sommes considérables (en France, EDF consacre 48 milliards d’euros à un « grand carénage » des centrales depuis 2014 et jusqu’en 2025).
Cela étant, même en Europe, l’arrivée des petits réacteurs et les progrès en matière de sécurité pourraient conduire certains pays, soit encore dépourvus de réacteurs (la moitié des pays de l’U.E.) soit déjà équipés, à revoir leur position pour, comme la Chine et l’Inde, réduire le poids du charbon. Ainsi le Royaume-Uni, qui compte quinze réacteurs classiques et un EPR en chantier, a récemment annoncé son intention de fermer toutes ses centrales à charbon d’ici à 2025 et de les remplacer par des installations au gaz et nucléaires. Mais l’Allemagne, où fonctionnent encore une centaine de centrales à charbon, dont la plus ancienne date de 1923, n’en est pas encore là.