Cette semaine, Alex Bodry publie Le Luxembourg, son régime politique et ses institutions. Le Land en publie en exclusivité les bonnes pages ayant trait au rôle du Grand-Duc

Vers une monarchie élective

d'Lëtzebuerger Land du 17.01.2025

Modèle suédois Depuis le 1er juillet 2023 c’est la Constitution qui détermine toutes les questions d’importance en relation avec la détermination du Chef de l’État. L’ensemble des règles afférentes, dont quelques-unes constituent des prescriptions inédites, sont de nature à changer fondamentalement le régime de la monarchie au Luxembourg. Tout dépendra de la suite des évènements et de la manière dont le Gouvernement et le Parlement interpréteront et utiliseront les nouveaux moyens d’intervention que la Constitution modernisée met à leur disposition.

On est en droit de se demander si le Luxembourg n’est pas en voie de passer d’une monarchie héréditaire, dont il garde l’apparence, à une monarchie élective, la représentation du pays, la Chambre des députés disposant désormais de réels pouvoirs de peser décisivement sur le choix du chef de l’État. Le régime monarchique luxembourgeois se rapproche aujourd’hui du modèle suédois.

La fonction est héréditaire en ligne directe, ce qui exclut les collatéraux et les parents alliés. Elle est héréditaire par ordre de primogéniture, ce qui garantit l’égalité des sexes, et se fait par représentation, ce qui implique que les personnes qui figuraient dans l’ordre de succession à une certaine place, laissent cette place à leurs propres héritiers. Mais la Constitution introduit une nouveauté majeure par rapport au régime antérieur. Elle attribue à la Chambre des députés le pouvoir d’exclure une ou plusieurs personnes de l’ordre de succession par une loi. Cette intervention du Parlement peut se faire à l’initiative soit du Gouvernement, soit des députés. Une telle initiative législative doit pourtant être adoptée à la majorité qualifiée, c’est-à-dire par les deux tiers des députés ce qui correspond aux suffrages de quarante députés sur soixante, le vote par procuration n’étant pas admis.

Il appartient au législateur seul d’apprécier souverainement l’existence de circonstances exceptionnelles qui commandent une telle intervention législative. Sous l’empire du pacte de famille de la Maison de Nassau cette faculté d’exclusion de l’ordre de succession était une prérogative du Grand-Duc régnant sans la moindre intervention du Parlement dans le cas où l’un des membres de la famille grand-ducale se marie sans le consentement du chef de la famille de Nassau.

Les successeurs de Marie-Adélaïde ont sans exception décidé, pour des raisons d’âge, de mettre prématurément fin à leur fonction. La Grande-Duchesse Charlotte a abdiqué en 1964 après un règne de plus de quarante-cinq ans. Elle est décédée en 1985. Son fils, le Grand-Duc Jean a exercé les fonctions de Chef de l’État pendant trente-six ans. Il a abdiqué en faveur du Grand-Duc héritier Henri en l’an 2000. Le Grand-Duc Jean est décédé le 23 avril 2019, à l’âge de 98 ans.

L’hypothèse de l’abdication du Grand-Duc est expressément prévue par la Constitution. Contrairement à d’autres monarchies, le Luxembourg reconnaît ainsi formellement le droit au monarque d’abdiquer, c’est-à-dire de mettre prématurément fin à ses fonctions de chef de l’État. L’abdication n’est soumise à aucune condition. Elle ne doit pas être motivée.

À côté de l’abdication volontaire, la Constitution prévoit le cas particulier d’une abdication présumée du Grand-Duc. Ainsi, en vertu de l’article 60 de la Constitution, « Si le Grand-Duc ne remplit pas ses attributions constitutionnelles, la Chambre des députés, à la demande du Gouvernement, le Conseil d’État entendu en son avis, décide à la majorité qualifiée qu’il y a lieu de considérer que le Grand-Duc a abdiqué ».

Il s’agit là d’une disposition quasiment « révolutionnaire » introduite par le constituant lors de la révision constitutionnelle du 17 janvier 2023 dont la portée extraordinaire ne semble pas avoir été saisie par la plupart des commentateurs. Elle attribue au Gouvernement et à la Chambre des députés le pouvoir de destituer le Chef de l’État si celui-ci ne remplit pas ses attributions constitutionnelles. Ce texte constitue une particularité du régime monarchique luxembourgeois qui se différencie nettement du modèle belge.

La Constitution fait intervenir, en raison de la gravité de la situation, les trois principales institutions politiques de l’État : le Gouvernement qui dispose du droit d’initiative, le Conseil d’État qui doit être entendu en son avis et la Chambre des députés qui dispose du pouvoir de décision, en statuant à la majorité qualifiée.

Les travaux parlementaires sur les révisions constitutionnelles soulignent la volonté du constituant de viser par cette nouvelle disposition non seulement l’hypothèse d’une incapacité permanente du Chef de l’État d’exercer sa fonction, mais encore le cas du refus du Chef de l’État d’exercer ses attributions constitutionnelles, le Grand-Duc ne disposant pas d’un pouvoir discrétionnaire d’agir ou de ne pas agir dans le cadre des compétences lui attribuées.1

Cette forme d’abdication présumée voire forcée permet d’atténuer le caractère absolu des statuts d’inviolabilité et d’irresponsabilité accordés au Grand-Duc et de les rendre ainsi conformes aux conceptions contemporaines du fonctionnement démocratique des institutions dans un État de droit.

Le bouclier de la responsabilité ministérielle Même si depuis 1998 la personne du Grand-Duc n’est plus déclarée comme sacrée, la Constitution dispose en son article 44 que sa personne est inviolable. En principe, le Grand-Duc est donc à l’abri de toute action civile ou pénale intentée contre lui. « L’inviolabilité du Grand-Duc signifie qu’il ne peut être accusé ni poursuivi en justice par personne, qu’il n’est justiciable d’aucune juridiction et qu’on ne peut lui demander compte de ses actes ».2 L’irresponsabilité civile et pénale du Grand-Duc concerne les actes de la vie publique et ceux de sa vie privée.

Le caractère absolu de l’immunité ou de l’irresponsabilité pénale du Chef de l’État est battu en brèche par le statut de la Cour pénale internationale, une juridiction internationale créée pour sanctionner les auteurs de crimes internationaux les plus graves tels que les génocides ou les crimes de guerre. En vertu de l’article 27 du statut de Rome « la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale » et ceci nonobstant de toute immunité ou procédure spéciale leur reconnu en vertu du droit national ou international.3

L’irresponsabilité politique du Grand-Duc est couverte par la responsabilité ministérielle. L’irresponsabilité politique du monarque ne peut toutefois jouer pleinement que si le Grand-Duc fait preuve d’une grande retenue dans ses déclarations publiques, évitant d’exprimer des opinions personnelles tranchées sur des sujets controversés. Sinon le bouclier formé par le mécanisme de la responsabilité ministérielle risque de se fissurer rapidement mettant un danger l’acceptation de la monarchie.

L’irresponsabilité accordée au Grand-Duc étant dérogatoire au droit commun, elle doit s’interpréter de façon restrictive. Le monarque ayant perdu la qualité de chef de l’État, suite à une abdication ou une régence, redevient, tout en gardant son titre de noblesse, un citoyen ordinaire répondant, en principe, personnellement de ses actes. « La protection particulière accordée à la personne du Grand-Duc ne se communique pas aux autres membres de la famille grand-ducale. L’on notera cependant que le Code pénal accorde à ses membres, notamment à l’héritier présomptif du trône, une protection allant au-delà de celle accordée au citoyen ordinaire ».4

« Ne peut agir seul » On retrouve dans la Constitution une énumération impressionnante d’attributions du Chef de l’État. En réalité, elles relèvent presque toutes de l’appréciation politique du gouvernement, le Grand-Duc étant simplement tenu d’y apposer sa signature à côté de celle du membre du gouvernement. Il revient au Grand-Duc de promulguer les lois votées par le Parlement dans les trois mois de leur adoption. Il s’agit d’un acte plus technique que politique.

Le droit de grâce fait partie des droits régaliens des monarques de l’Ancien Régime. Depuis la révision constitutionnelle de 2023 le droit de remettre ou de réduire des peines pénales prononcées est réglé par la loi. Une commission de grâce, majoritairement composée de magistrats, donne son avis sur chaque demande, après enquête de la Police grand-ducale. Le droit de grâce est en réalité exercé par le ministre de la Justice, qui assume la responsabilité de ces décisions prises sous la signature du Grand-Duc.

Même le droit de conférer des titres de noblesse et les ordres civils et militaires n’est pas une prérogative personnelle du Grand-Duc qu’il pourrait exercer sans contreseing ministériel. Ces nominations et décorations revêtent un caractère politique et nécessitent l’accord du Gouvernement. Seule exception à cette règle : les nominations dans l’ordre de la Maison de Nassau.

L’article 53 de la Constitution dispose que « le Grand-Duc porte le titre de commandant de l’armée. Ce commandement est exercé sous la responsabilité du Gouvernement ». Avant la refonte de 2023, la Constitution déclarait que le Grand-Duc commande la force armée. Il est désormais incontestable que le commandement de l’armée est en réalité un domaine politique du ressort du Gouvernement. La formule retenue permet au Grand-Duc, s’il le souhaite, de continuer de porter l’uniforme de l’armée lors de cérémonies officielles. Il est de tradition que le Grand-Duc se voit accorder le grade de général de l’armée luxembourgeoise. Tant le Grand-Duc Jean que le Grand-Duc Henri ont suivi une formation militaire. Tel a également été le cas du Grand-Duc héritier Guillaume.

De son incapacité d’agir seul et de son irresponsabilité découle le grand principe qui domine nécessairement l’action du monarque au 21e siècle, celui de la neutralité politique. Symbole de l’unité du pays, il doit se situer au-delà des clivages et querelles politiques. Ainsi, à l’instar du Roi des Belges, le Grand-duc n’exerce pas son droit de vote aux élections. Même si cette attitude est légalement douteuse dans un pays qui connaît le vote obligatoire, elle se comprend politiquement.

Décrivant la situation institutionnelle en Grande-Bretagne à la fin du 19e siècle, le juriste anglais Walter Bagehot a estimé que les attributions réelles du monarque se résument à trois : le droit de savoir, le droit d’encourager, le droit de mettre en garde.5 Cette théorie a vocation à s’appliquer également à la monarchie parlementaire du Luxembourg.

« Colloques singuliers » Il est d’usage que les ministres, et notamment le Premier ministre, informent régulièrement le Chef de l’État sur les projets et les initiatives du Gouvernement. Dans des matières liées aux anciens pouvoirs régaliens, l’information peut s’apparenter à une consultation du Grand-Duc. En Belgique, ces rencontres entre le monarque et les ministres est désigné par les termes « colloque constitutionnel » ou « colloque singulier royal ». Elles ont un caractère confidentiel voire secret. Alors que sous les Premier ministres Juncker et Bettel les colloques singuliers avec le Chef de l’État se faisaient à des intervalles assez espacés, le Premier ministre Luc Frieden est revenu à un rythme d’entretiens en tête à tête plus soutenu, de nature bimensuelle.

Traditionnellement, la Couronne participe activement à des missions économiques du Luxembourg à l’étranger. Ainsi des membres de la famille grand-ducal, depuis les années 1970 ce sont les héritiers du trône qui ont co-présidé les délégations luxembourgeoises lors de divers voyages visant à promouvoir le développement économique du pays et attirer de nouveaux investisseurs. Leur présence a certainement contribué à susciter l’intérêt pour ces missions dans les pays de destination.

Inciter, encourager, stimuler Le Chef de l’État exerce, comme nous l’avons décrit, une fonction de conseil, de médiation. Il peut inciter, encourager, stimuler. Ce droit d’encourager devient même un devoir en temps de crise. Lors de ses rencontres, il peut évidemment exprimer des préoccupations et esquisser des idées fondamentales liées au développement du pays et de la société. Réserve, discrétion et prudence doivent guider le Grand-Duc dans l’exercice de cette fonction au risque de s’exposer à la critique d’une partie de l’opinion publique. Cette même retenue devrait caractériser les prises de position des autres membres de la famille grand-ducale, même s’ils ne remplissent pas de missions officielles. En contrepartie, le Gouvernement et les interlocuteurs officiels du Grand-Duc ne doivent en aucun « découvrir la couronne », c’est-à-dire rendre publique l’opinion personnelle exprimée par le Chef de l’État.

La capacité d’influence du Grand-Duc dépend finalement de son autorité dans l’opinion publique et auprès des acteurs politiques. Arrive-t-il à incarner pleinement la fonction symbolique qui lui revient ? Pour beaucoup, il incarne une part de l’identité nationale. L’institution du monarque en est une image au même titre que la langue, le drapeau, l’hymne national. On pénètre ici dans le domaine de l’affectif et de l’irrationnel. Au fil des générations il s’est forgé une relation émotionnelle entre une partie de la population et le Grand-duc qui explique une popularité toujours considérable même si elle semble s’être affaiblie légèrement selon les sondages. Dans une société marquée par des clivages croissants, l’institution du monarque constitutionnel sans réel pouvoir politique, mais munie d’une certaine autorité auprès de la population peut constituer un moyen de renforcer la cohésion sociale et d’aider à surpasser les divisions traversant la communauté nationale.

Désigner un (in)formateur Il existe un moment dans la vie politique du Luxembourg où le Chef de l’État intervient seul sans contreseing ministériel. Le cas de figure qui se présente à des intervalles réguliers, n’est toutefois réglé, ni par la Constitution, ni par la loi : c’est la période de la formation du gouvernement.

À l’instar de la Belgique, le Luxembourg connaît la coutume institutionnelle des consultations menées par le Chef de l’État en vue de préparer la formation du gouvernement. Après avoir vu séparément les présidents des partis représentés à la Chambre des députés, et procédé éventuellement à d’autres consultations, il est généralement accepté qu’il appartient au Grand-Duc de désigner un informateur ou, si les choses sont évidentes, un formateur. Curieusement l’acte qui matérialise la désignation de l’informateur et/ou du formateur est un communiqué de presse. Personne n’a à approuver le choix du Chef de l’État. Dans une situation politique complexe, où l’émergence d’une majorité gouvernementale stable n’est pas assurée ou lorsqu’ils existent plusieurs options de coalition plausibles, le Grand-Duc peut effectivement donner une orientation aux négociations sur le futur gouvernement. En Belgique, ce cas de figure s’est déjà présenté à plusieurs reprises durant les vingt dernières années. Au Luxembourg, il est de coutume que les partis politiques impliqués se mettent rapidement d’accord sur la coalition souhaitée. Les marges de manœuvre du Grand-Duc existent, mais elles sont très étroites et comportent le risque de se voir taxer de partialité.

Aux Pays-Bas, une loi a mis fin à une coutume constitutionnelle similaire à celle des monarchies belge et luxembourgeoise. Ce n’est plus le Roi qui désigne le formateur du futur gouvernement, mais le Président du Parlement qui mène les consultations préalables aux négociations pour la mise en place d’un gouvernement.

Patrimoine « La gestion de la fortune privée de la famille grand-ducale est une affaire privée et ne concerne pas la Constitution ».6 Par contre, une loi du 16 mai 1891 règle des questions relatives à la fortune privée de la Maison grand-ducale. D’après cette loi, l’administration des biens mobiliers et immobiliers composant la fortune privée de la Maison grand-ducale et situés dans le pays est régie par le Pacte de famille de Nassau et les dispositions à prendre en vertu de ces statuts. Cette règle pose problème dans la mesure où les textes découlant du « Fürstenrecht » (droit princier) du 18e siècle ne sont pas publiés en entier et risquent de se heurter quant au fond aux règles du Code civil voire à des conventions internationales.

Le pacte institue un fidéicommis qui a comme objectif d’éviter une dilapidation ou un éparpillement du patrimoine familial. Un tel régime risque cependant de se heurter aux règles successorales de droit commun. Il confère une grande responsabilité au Grand-Duc en sa qualité de chef de famille. La loi accorde en outre certains avantages fiscaux pour les transmissions de biens mobiliers et immobiliers entre les membres de la famille grand-ducale. Le Grand-Duc est représenté judiciairement et extrajudiciairement, en ce qui concerne sa fortune privée, par le préposé à l’administration de ses biens.

Séparation public-privé La gestion défaillante du personnel mise à part, le dysfonctionnement structurel le plus flagrant relevé par le rapport Waringo était l’absence de séparation nette et précise entre les activités qui relèvent des attributions et missions constitutionnelles du Grand-Duc et des activités « privées » du Grand-Duc et des membres de la famille grand-ducale.

Suite à la révision constitutionnelle de 2023, l’ancien système peu transparent de la liste civile et des allocations budgétaires pour couvrir notamment des frais de représentation a été remplacé par un système de dotations annuelles inscrites au budget de l’État au bénéfice du Grand-Duc, de l’ancien Grand-Duc, du Grand-Duc héritier, du Régent et du Lieutenant-représentant et dont les éléments et le montant sont fixés par la loi.7 Pour l’exercice budgétaire 2023 la dotation au Grand-Duc et au Grand-Duc héritier s’est élevée à un montant total de 766 323,70 euros. La loi dispose que ces dotations sont intégralement exemptes des impôts directs sur le revenu. Cette disposition n’est pas conforme aux propositions du rapport Waringo dans la mesure où au moins une partie de ces dotations doit être considérée comme une forme de rémunération, de traitement.

La Maison du Grand-Duc a été mise en place en tant qu’entité exclusivement en charge des misions constitutionnelles du Grand-Duc. Elle a comme objet « de fournir au Grand-Duc le soutien administratif et logistique nécessaire à l’exercice de la fonction de Chef de l’État. Son budget est entièrement pris en charge par le Budget de l’État. Selon le compte provisoire de l’exercice 2023 les dépenses s’élevaient à 18,579 millions d’euros, dont les deux tiers étaient affectés à des frais de personnel. Au 31 décembre 2023, l’effectif inscrit à la Maison grand-ducale a été de 120 agents de l’État dont quatre détachements actés de l’Armée et un du Ministère des Affaires étrangères. Paraphrasant André Molitor, l’ancien chef de cabinet du Roi Baudouin de Belgique, on est en droit d’affirmer : Que l’entourage du Grand-Duc ne soit pas homogène d’un point de vue idéologique, voilà ce qui est souhaitable et même indispensable ».8 p

 

Monarchie ou République ?

Faut-il abandonner le régime monarchique et faire du Luxembourg une République ? Franchement, cette question n’est pas d’actualité dans la mesure où après l’incident de 2008 autour de la sanction grand-ducale de la loi sur l’euthanasie la pratique institutionnelle des attributions du monarque est de nouveau alignée sur les usages constitutionnels et que la refonte de la Constitution a fini par éliminer les ambiguïtés en définissant un régime qui place la monarchie luxembourgeoise entre le modèle belge et celui de la Suède. Le chef de l’État a un rôle essentiellement représentatif, symbolique. Remplacer le Grand-Duc par un Président élu par la Chambre des députés, comme l’a proposé Déi Lénk en 2016 dans sa proposition de révision portant instauration d’une nouvelle Constitution n’apporte aucun changement réel dans le fonctionnement des institutions en ce qui concerne la détermination de la politique du pays. En effet, les attributions constitutionnelles prévues pour le Président sont similaires à celles du Grand-Duc. Ce qu’il va peut-être gagner en économies budgétaires du fait de la nature républicaine de la fonction du Chef de l’État, le pays risque de le perdre en visibilité, en identité, voire en popularité. Faute d’alternative attrayante, il est sage de rester au statu quo.

« Sables mouvants »

Après l’expérience malheureuse d’une monarchie politique sous le règne de la Grande-Duchesse Marie-Adelaïde, les périodes suivantes ont été moins mouvementées du point de vue institutionnel, tant la Grande-Duchesse Charlotte que son fils aîné le Grand-Duc Jean respectant scrupuleusement le rôle essentiellement protocolaire qui est celui d’un monarque constitutionnel dans une démocratie parlementaire. Même en cas de désaccord entre les deux branches de l’exécutif, le dernier mot appartient dans tous les cas au Gouvernement et au Parlement.
Avec la prise de fonction du Grand-Duc Henri le Luxembourg est progressivement entré dans une phase de relations plus tendues entre le Grand-Duc et son épouse la Grande-Duchesse Maria Teresa et le gouvernement et une large partie du monde politique. La conception que le couple grand-ducal se faisait de l’exercice des attributions se voulait différente de celle des prédécesseurs, plus moderne, plus ouverte. Ils y voyaient une affaire de couple. Ayant suivi des études universitaires, ils ne cachaient pas leur intention de s’engager davantage dans la société, éprouvant comme la plupart des têtes couronnées européennes de leur génération des difficultés à accepter de rester enfermés dans un rôle d’inaugurateur de chrysanthèmes, selon la formule du Général de Gaulle.
Si ce vent nouveau a été salué au début du règne, la tendance à vouloir peser politiquement a conduit la monarchie à s’aventurer sur du sable mouvant. En 2005, la déclaration du Grand-Duc de voter pour le traité européen soumis au référendum était pour le moins risqué, le refus de signer en 2008 une loi votée en bonne et due forme par la Chambre des députés, en invoquant des convictions religieuses personnelles, a failli jeter le pays dans une crise institutionnelle d’envergure. Un Chef de l’État non élu, irresponsable de par la Constitution, ne peut mettre ses convictions personnelles, aussi respectables soient-elles, mais qui sont d’ordre privé, avant l’accomplissement de ses obligations constitutionnelles.
Cet incident grave n’a pas manqué de se répercuter sur les travaux de la refonte de la Constitution en cours à ce moment, conduisant à un nouvel agencement des dispositions des textes relatifs au monarque, le régime retenu se rapprochant de plus en plus du modèle monarchique suédois.
Depuis cet incident, le comportement parfois imprudent de la Grande-Duchesse, très engagée et dotée d’une forte personnalité, n’a certainement pas arrangé les choses. Il est dommage que ces faits aient quelque peu terni le bilan du règne du Grand-Duc Henri qui comporte pourtant beaucoup de points positifs comme par exemple la persévérance du Chef de l’État dans son engagement pour le développement économique, le vivre-ensemble et le maintien de la cohésion sociale dans le pays. Le futur Grand-Duc peut construire sur cet acquis en reprenant et en développant les expériences positives et en évitant de dévier, dans toute la mesure du possible, des devoirs de neutralité politique et d’impartialité qui incombent au Chef de l’État luxembourgeois.

 

Le conjoint

Le Grand-Duc est le Chef de l’État. Ni la Constitution, ni la loi ne réservent une fonction au conjoint du Grand-Duc. Il est de tradition que lorsqu’il s’agit de l’époux du Grand-Duc, il porte le titre de Prince tandis que s’il s’agit de l’épouse, elle se voit attribuer le titre de Grande-Duchesse. Rappelons qu’en vertu de l’article 52, le Grand-Duc a le droit de conférer des titres de noblesse aux membres de la famille grand-ducale, sans pouvoir jamais y attacher de privilège. Le conjoint du Chef de l’État n’est pas mentionné par la Constitution contrairement à l’ancien Chef de l’État, le Grand-Duc héritier, le Régent et le Lieutenant-Représentant qui se voient reconnaître une fonction et qui ont droit à une dotation budgétaire annuelle. Il ne fait pas partie de l’ordre de succession du Grand-Duc et ne peut, de ce fait, être Régent. Cette question du rôle du conjoint du monarque ne se résume pas à un intérêt purement théorique. Elle est momentanément apparue sur le devant de l’actualité à la fin des années 2010, certains dysfonctionnements à la Cour ayant amené le Premier ministre Xavier Bettel à diligenter une enquête conduisant à l’élaboration d’un rapport officiel et à une réforme de la gouvernance de la Maison du Grand-Duc.

Le livre d’Alex Bodry,

Alex Bodry
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