Pour faire face à la profusion créative du secteur, l’année dernière, les fameux Shorts made in/with Luxembourg furent disséminés sur deux soirées pour un total de vingt courts-métrages et autant de discours qui excédaient parfois en durée, rarement en qualité, les œuvres présentées. Pour le cru 2024, éclectique et qui fait la part belle à des sujets comme la toxicité (pas que) masculine, retour à la case départ avec seulement neuf courts, en quoi on était tenté de voir des critères de sélection revus à la hausse.
Cela commence pourtant assez mal avec Zodi de Hubrecht L. Brand, une histoire de chamaillerie familiale autour d’un héritage alors que les corps des parents, décédés à la suite d’une partie de jambes en l’air qui a mal tourné, ont à peine eu le temps de refroidir. Esquissés en deux trois coups de pinceaux dramaturgiques, les quatre personnages peinent tout autant à convaincre que la chute qui clôt ce Zodi peu bruyant. À l’autre bout de la soirée et comme pour répondre par une clôture bancale à une ouverture quelconque, The Beast Within Us de Julien Becker est un pastiche de néo-noir autour d’une épouse qui cherche à se débarrasser de son mari avec l’assistance d’un amant particulièrement maladroit. Si on y ajoute un mari qui refuse de mourir – il faut dire qu’on ne se débarrasse pas si facilement d’un Jules Werner qui aurait par ailleurs presque réussi à le sauver, ce court – et une crue du fleuve dans lequel on avait cru se débarrasser du cadavre en devenir, les choses ne manqueront pas de tourner au vinaigre. Dommage qu’on puisse en dire autant du film lui-même.
Heureusement, entre ces deux accolades médiocres, il y a des lueurs d’espoir. Passons sur une sorte de haiku filmique métaphorisant en trois minutes et un poème la vie après un viol (It Will Not End You de Lucie Wahl), un dessin animé sympa sans plus (The Shadow of a Second de Fabien Weibel) et un méta-court-métrage surfait autour d’une jeune réalisatrice écrasée par le poids de l’histoire du cinéma et qui repousse le moment de sortir de chez elle pour affronter un premier jour de tournage (Stairs de Raha Raz Ghashghai).
Attardons-nous plutôt sur les courts qui sortent du lot. Dans Crackle de Fränk Grotz, Philippe Meyrer incarne un disquaire barbu et solitaire, qui dédie sa vie à son amour du vinyle dans des temps où les gens n’écoutent plus que des playlists générées par des I.A. Quand une jeune boulangère lui commande le vinyle de Songs to the Siren de Tim Buckley, il tombe sous le charme de la jeune fille et commence à l’idolâtrer comme les paroles de ses chanteurs fétiches lui ont appris à le faire. Si la façon de filmer cette obsession est un chouïa manichéenne à cause de la condensation de la forme courte, Crackle amorce une réflexion sur la solitude et les habitus d’un monde disparu : le film dévoile la part de toxicité recelée dans le romantisme de mec concoctant des mix-tapes à sa dulcinée. Le craquement du vinyle, si souvent poétiquement encensé, devient ici symbole de la fêlure du disquaire, à qui la jeune boulangère aurait mieux fait, quand il lui fait découvrir une reprise de la chanson de Buckley, de jouer Creep, de Radiohead.
À propos de vinyle : chez Stephen Korytko, il est question d’envoyer dans l’espace un disque contentant un échantillonnage de la vie terrestre – et de qui a le droit de composer ce best of de la vie humaine. Golden Record aurait mérité d’explorer plus en amont une idée de départ trop vite abandonnée en faveur d’une esthétique de clip léchée.
Oizys n’est pas seulement la divinité représentant la misère et la détresse mais aussi un court-métrage de Rari Matei, aussi berlinois que faire se peut. Produit par Two Steps Twice et featuring un Max Thommes en caméo de séducteur un peu relou, le court-métrage raconte l’histoire d’un deuil impossible, dont ni les boîtes de nuit ni les rituels funéraires ne peuvent divertir. Formellement abouti, le film peine, en sa résolution un peu facile tout comme dans son unique scène intime, où les deux amants s’imaginent une virée à Rome en ânonnant des pizza mozzarella assez pénibles, à traduire le trop rapide cheminement du deuil à la convalescence.
Plus intime encore, Souvenirs de Katharina Bintz juxtapose les souvenirs de résistance de ses grands-parents à des images d’aujourd’hui – alors que deux voix off hésitent à explorer les dédales du passé, la réalisatrice filme avec malice des bibelots enlaidissant les devantures de boutiques touristiques, où la commercialisation du mot souvenir efface les réminiscences véritables. Si certaines loufoqueries ne fonctionnent pas – le gag des exercices des militaires s’épuise vite –, et qu’on aurait aimé en savoir plus sur cette boîte à souvenir personnelle, l’ambition formelle du court-métrage, proche d’une installation artistique, mérite d’être saluée.