Peu à peu, le DP place ses hommes de confiance dans tous les ministères où il assume la responsabilité politique, privilégiant l’amitié personnelle ou politique sur la compétence. Où l’État DP remplace l’État CSV

Nouveau népotisme

d'Lëtzebuerger Land du 10.07.2015

« Je me réjouis que des gens qui ont de l’expérience dans le secteur privé soient prêts à mettre ce savoir au service du gouvernement », répondit le Premier ministre Xavier Bettel (DP) à la question d’un journaliste, lors du briefing pour la presse après le conseil de gouvernement de jeudi dernier, 2 juillet. Les jours précédents, la presse s’était faite l’écho d’inquiétudes évoquées par certains députés de l’opposition, notamment de La Gauche, suite à la publication, dans le Mémorial, de la nomination de Jean-Paul Marc, agent immobilier (Move-In Immobilier, Rockenbrod), au poste de premier conseiller de gouvernement au ministère du Logement, lui reprochant notamment « comme un soupçon de conflit d’intérêts » (Le Quotidien du 2 juillet). Marc aurait vendu ses parts dans la société, a assuré le Premier ministre, un fonctionnaire ne pouvant avoir d’activité commerciale à côté, mais aurait gardé celles des sociétés qui gèrent ses propres appartements. Le PaperJam toutefois a aussi révélé une deuxième possible source de conflit d’intérêts, par son frère, André Marc, avocat chez Allen & Overy, étude qui a écrit la convention qui liait la société Livingroom au Fonds du logement pour un projet de construction à Leudelange, projet sur lequel pèse une enquête pour prise illégale d’intérêt, qui a accéléré la mise au ban du prédécesseur de Marc au ministère du Logement, Daniel Miltgen. Xavier Bettel toutefois est persuadé que le nouveau premier conseiller de gouvernement « connaît bien le marché de par son expérience (d’agent immobilier) et sait quels sont les problèmes, aussi du côté des procédures ». Ce qu’il n’a pas dit est que Marc est surtout un proche de Marc Hansen, avec lequel il partagea une activité comme reporter à RTL Télé Lëtzebuerg, où l’économiste contribua en tant que freelance à une émission économique et à une autre sur le marché immobilier.

Le fait du prince Au-delà de la question de son indépendance d’intérêts commerciaux, Jean-Paul Marc n’est que la dernière d’une longue série de nominations de hauts fonctionnaires par le DP depuis un an et demi. Il a ainsi peu à peu remplacé les anciens fonctionnaires qu’il abhorre comme étant des sous-marins du CSV par des gens qui ont comme principale compétence leur proximité personnelle, voire leur garantie de loyauté vis-à-vis du ministre ou du secrétaire d’État en place. Exit Daniel Miltgen, Christiane Martin, Marc Jaeger, voici venir Jean-Paul Marc (Logement), Yves Piron (Office luxembourgeois d’accueil et d’intégration / Famille) et Dan Theisen (ministère de la Famille). Alors que Xavier Bettel avait promis de la retenue sur la question au début du mandat, au point que le PaperJam lui reprocha même « une certaine dose d’insensibilité (…) vis-à-vis des membres de son gouvernement qui réclament de pouvoir s’entourer de personnes de confiance au sein de ministères qui sont restés des bastions du parti chrétien-social » (le 29 janvier 2014), c’est désormais chose faite : les ministres du DP ont réintroduit le féodalisme, où le seigneur possède le droit d’anoblir qui bon lui semble.

Car souvent, c’est bien d’un saut de carrière inouï qu’il s’agit. Après la réforme de la fonction publique, votée au printemps, les critères de recrutement auprès de l’État ont encore été durcis : examen d’entrée, formation à l’Inap, concours internes sont autant d’étapes à franchir – pourvu qu’on ait le diplôme initial requis –, pour décrocher un des postes si convoités dans le « secteur protégé ». Pour les carrières supérieures, catégorie A, il faut au moins détenir un bachelor ou équivalent (A2), voire un master ou équivalent (A1). Les postes de conseiller de gouvernement adjoint (grade 14 sur l’échelle des salaires), de conseiller de gouvernement (grade 15), de conseiller de gouvernement première classe (grade 16) ou de premier conseiller de gouvernement (grade 17), sont considérés comme des fonctions politiques et sont donc hors cadre. La rémunération se situe grosso modo entre 7 000 euros salaire d’entrée au grade le plus bas et plus de 11 000 euros par mois. La distance par rapport aux responsables politiques n’est plus si énorme, mais les hauts fonctionnaires n’ont aucune légitimation démocratique. C’est pourquoi le gouvernement avait promis, lors de son entrée en fonction, alors qu’il fut critiqué pour le nombre de ses ministres (quinze, plus trois secrétaires d’État, contre quinze en tout pour le gouvernement Juncker/ Asselborn II), qu’il réduirait le nombre de hauts fonctionnaires (cadre fixé le 14 décembre 2013 à six administrateurs généraux, qui ne seront pas remplacés après leur départ à la retraite ; 43 premiers conseillers de gouvernement, qui n’étaient que 25 en 2009 ; 21 conseillers de gouvernement première classe ; dix conseillers de gouvernement et deux conseillers de gouvernement adjoints). Bien qu’officiellement, elles ne soient nommées que pour sept ans, aucune de ces nouvelles recrues ne se retrouvera à la rue après ce délai, mais aura un poste assuré au-delà du règne du DP.

Cabinets politiques ? Or, si ce même gouvernement s’est aussi exprimé contre l’introduction de « cabinets politiques », idée qui pourtant réapparaît régulièrement depuis une quinzaine d’années, c’est ce que les ministres DP ont fait dans leurs ressorts. Dans l’annuaire officiel Etat.lu, la plupart des ministres DP ont désormais leur « cabinet ministériel » : dans l’Enseignement supérieur, Claude Meisch et son secrétaire d’État Marc Hansen se sont entourés de deux premiers conseillers de gouvernement (Léon Diederich et Gaston Schmit) venant de la fonction publique, ainsi que d’un nouveau conseiller, Luc Schockmel, qui n’a d’autre compétence dans le domaine que d’être membre du DP Nord et surtout avoir été le secrétaire communal de la commune d’Useldange, où Marc Hansen fut échevin. Pour l’Éducation nationale, Claude Meisch a donné carte blanche à l’ancien employé du groupe parlementaire libéral, Lex Folscheid, pour complètement restructurer ce mammouth qu’est le ministère ; il vient de créer un « bureau de coordination des politiques éducatives », s’entourant de deux fonctionnaires de la maison et d’Anne Heniqui, ancienne rédactrice du Land qui a fait un crochet par la Cour des comptes. Beaucoup de hauts fonctionnaires ont été placardisés ou au moins mis au pas. Le départ à la retraite de Raymond Straus, début juillet, y ouvrira un poste de Premier conseiller de gouvernement.

Au ministère de la Famille, Corinne Cahen a pris soin de décrédibiliser Pierre Jaeger, l’ancien homme fort du ministère, réputé CSV, pour une sombre histoire de SMS mal dirigé, avant de le caser à la direction de l’aviation civile, et de le remplacer par Dan Theisen, l’ancien secrétaire parlementaire du groupe libéral. Promu Premier conseiller de gouvernement, il s’est entouré de Pierre Lamar, Dominique Faber, Diane Steichen et Jacquie Zahlen au cabinet ministériel de cet important ministère, qui a notamment pour ambition de réformer la politique familiale et sociale de fond en comble. Au ministère du Logement, la restructuration est en cours ; mais après l’éviction de Daniel Milt-gen (il devait être remplacé l’année dernière déjà par Paul Schmit, fidèle militant et conseiller d’État du DP, mais lui et la ministre n’ont pas trouvé d’accord sur les conditions d’embauche) et avant la mise en place d’un cabinet ministériel, la ministre Maggy Nagel et son nouveau secrétaire d’État Marc Hansen doivent clarifier leurs responsabilités respectives ; Xavier Bettel a promis la semaine dernière la publication prochaine de l’organigramme. Au ministère de la Culture, Maggy Nagel a surtout fait venir Max Theis de RTL Radio Lëtzebuerg et l’a illico promu conseiller de gouvernement adjoint pour la tâche de communicant.

Placards dorés Au ministère des Finances, Pierre Gramegna, lui-même catapulté au gouvernement (et au parti) à partir de son poste de directeur de la Chambre de commerce, s’est séparé avec pertes et fracas des cerveaux de la maison (Alphonse Berns, Georges Heinrich et Sarah Khabirpour), pour les remplacer à son tour par des hommes de confiance, comme Christophe Zeeb, qui, de juriste de la Chambre de commerce, s’est vu promu au rang de conseiller de gouvernement première classe au secrétariat général du ministère. Alors que Fernand Etgen au ministère de l’Agriculture n’a pas encore fait de vagues, reste Xavier Bettel au ministère d’État. Soulignant sa volonté de ne pas couper de têtes à son arrivée à l’Hôtel de Bourgogne, il a néanmoins placardisé Luc Feller, CSV, au ministère des Cultes, qui compte désormais la plus haute proportion de premiers conseillers de gouvernement (cinquante pour cent, Jean Zahlen y avait également été recasé, ils sont assistés de deux secrétaires). Le Premier ministre a notamment recruté Jean-Paul Senninger, ambassadeur et militant engagé du DP, comme secrétaire général du conseil de gouvernement, le juriste Jacques Thill, conseiller de gouvernement première classe, et le désormais incontournable Paul Konsbruck, ancien rédacteur en chef d’Eldoradio devenu plus spin doctor que simple conseiller en communication (au titre de conseiller de gouvernement). Un nouveau poste dans la communication vient d’être créé, et le départ à la retraite annoncé pour début septembre de l’actuel administrateur général du ministère Marc Colas, ouvre un poste de haut fonctionnaire au ministère d’État, qui ira à n’en pas douter à un proche du DP.

Pions Ce jeu d’échecs du DP pour placer tous ses pions fait grincer beaucoup de dents. Notamment dans les ministères eux-mêmes, où des fonctionnaires dévoués (ou carriéristes) attendent depuis des années des promotions internes et se voient ainsi barrer la route. Ils ne seront pas les plus engagés lorsqu’il s’agira de collaborer avec ces catapultés pour lesquels ils n’ont souvent que peu d’estime. Le syndicat de la fonction publique, CGFP, fait savoir, par son attaché de presse, que « la CGFP est d’avis qu’un fonctionnaire, quel que soit son niveau, doit pouvoir faire son travail en toute neutralité et impartialité. Dans ce sens, la CGFP est contre les fonctionnaire dits politiques ». Si un fonctionnaire avait fait une faute ou ne correspondait pas aux attentes, il y aurait toujours la possibilité d’une procédure disciplinaire, plaide le syndicat, qui se fait toujours le chantre de la « fonction publique authentique ».

Bien sûr que l’arrivée de sang nouveau dans les administrations peut leur être tout à fait bénéfique et réduire le risque qu’elles fonctionnent en vase clos. Bien sûr aussi qu’il n’y a rien à redire au recrutement de personnes compétentes du secteur privé, même à des postes à responsabilité, même très bien rémunérées. Mais lorsque la compétence de ces nouvelles recrues semble être avant tout une carte du parti ou une amitié personnelle, cela commence à coincer. Et on ne prend plus du tout au sérieux les affirmations du gouvernement Bettel/ Schneider/ Braz de vouloir gouverner « autrement » ou dans une plus grande transparence que ses prédécesseurs s’il ne fait que remplacer les magouilles noires par des magouilles bleues.

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josée hansen
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