Tout le monde joue son rôle, et tout le monde semble s'y complaire. Ici, les députés socialistes français Arnaud Montebourg et Vincent Peillon de la « Mission d'information commune sur les obstacles au contrôle et la répression financière et du blanchiment des capitaux en Europe », en abrégé et dans le jargon des parlementaires français appelée « Mic paradis fiscaux » ; là les parlementaires luxembourgeois. Et entre les deux, Ernest Backes, Denis Robert et la chambre de compensation luxembourgeoise Clearstream.
Les premiers avaient la place financière luxembourgeoise dans le collimateur. Et se sont attirés les foudres des parlementaires, mais apparemment aussi du gouvernement luxembourgeois : en « mission » au Luxembourg au début de l'année dernière, ils avaient annoncé un rapport spécial sur les opacités de la place financière locale, à l'image des monographies très documentées déjà publiées sur le Liechtenstein, Monaco ou encore la Suisse. Mais la pression diplomatique semble être bonne à quelque chose. En marge de l'audition par la « Mic paradis fiscaux » des auteurs du livre Révélation$, mardi dernier, le président de la mission, Vincent Peillon, a exclu la publication d'un rapport spécifique sur le Luxembourg, estimant que le Grand-Duché avait fait « des efforts notoires depuis leur visite » et que le petit poucet de l'Europe des Quinze n'apparaîtrait que dans le rapport global final.
Les autres, c'est-à-dire les présidents des commissions parlementaires luxembourgeoises concernées, à savoir les députés chrétien-sociaux Lucien Weiler et Laurent Mosar, font toujours front. Déjà sur le qui-vive, à voir leur réaction lors de la visite des parlementaires français l'an dernier, quand il s'agit de la place bancaire, Weiler a enfoncé le clou en accusant la « Mic Paradis fiscaux » d'immixtion dans des affaires internes en organisant une audition des protagonistes de Révélation$. Une attitude jugée inacceptable, d'autant plus que, après avoir « eu recours aux informations du ministre du Budget » Luc Frieden (qui est aussi ministre de la Justice) dont « dépendent les instances de contrôle du secteur financier », Weiler a été confirmé dans son approche que le livre en question ne serait qu'un ramassis de « rumeurs et de soupçons » (propos tenus sur les ondes de RTL Radio Lëtzebuerg mercredi). Donc, il n'y a aucune nécessité à ce que les parlementaires luxembourgeois s'occupent de la Clearstream ou des affirmations des auteurs de l'ouvrage qui semblent, vu du Luxembourg, proches du crime de lèse-majesté.
Entre ces deux fronts se trouvent la chambre de compensation luxembourgeoise Clearstream, gravement mise en cause par le livre Révélation$, et les auteurs de ce dernier. Si Clearstream et son CEO directement visé, André Lussi, se refusent à tout commentaire et déclinent les convocations d'audition (que Lussi avait acceptée en un premier temps à la Mic du Parlement français), Backes et Robert ont commencé une tournée des Parlements qui les a amenés au Parlement européen à Strasbourg, à l'Assemblée nationale à Paris et actuellement aux États-Unis où ils ont été invités pour présenter leurs investigations à quelques sénateurs américains. Entre-temps, Robert a été entendu une première fois par le substitut du Procureur d'État luxembourgeois, en charge de la cellule anti-blanchiment, Carlos Zeyen, dans le cadre d'une enquête préliminaire du Parquet. Aux dires de Robert (voir l'entretien), Zeyen serait chaudement intéressé à recueillir les témoignages de plusieurs personnes citées dans le livre. Quant à Clearstream, selon des sources internes à la société de clearing, l'on aurait proposé au Parquet la rédaction d'un audit interne, reprenant point par point les accusations de Révélation$ pour tirer l'affaire au clair.
Le rôle du Parquet dans cette affaire est peut-être le premier élément qui fait sortir l'histoire des cadres et clichés, où tout le monde se confine et se plaît dans son rôle. Ici les pourfendeurs, là les protecteurs de la place financière, et entre les deux, les protagonistes : banquiers et accusateurs.
d'Land a jusqu'ici commenté le livre de façon très critique (voir d'Land n° 9/01 et 10/01 ou sur www.land.lu, rubrique Dossiers/Justice). Ce qui n'empêche pas de confronter un des auteurs du livre aux thèses soutenues par l'hebdomadaire pour qu'il puisse livrer son point de vue.