Chroniques de l’urgence

Greenwashing indésirable

d'Lëtzebuerger Land vom 07.02.2020

Le quotidien britannique The Guardian a annoncé le 29 janvier avoir pris la décision de ne plus accepter dorénavant de publicités de compagnies d’énergies fossiles : un jalon dont on ne peut qu’espérer qu’il fasse école.

Le vénérable journal, qui célébrera l’an prochain ses deux cents ans, a adopté ces dernières années un modèle d’affaires original, laissant en accès libre tous ses contenus en ligne mais incitant fortement ses lecteurs à contribuer à travers des dons, abonnements ou parrainages. Un pari qui a réussi : un million d’entre eux ont accepté de participer à son financement, et le journal a réussi à équilibrer ses comptes.

Le Guardian se distingue par ailleurs de la plupart de ses concurrents par une couverture hors pair des questions climatiques et une cohérence éditoriale remarquable sur le sujet. Jusqu’ici, explique Anna Bateson, ancienne responsable marketing promue en novembre patronne (CEO) par intérim, le journal refusait certaines publicités au cas par cas. C’est la première fois qu’il va exclure une catégorie entière d’annonceurs.

La publicité représente quarante pour cent des revenus du journal, et celle des entreprises d’énergies fossiles un centième de ceux-ci. Reste qu’y renoncer a été une « décision significative » fondée sur le fait que « nombre de ces entreprises ont pendant des décennies entrepris des efforts pour empêcher une action climatique significative de la part des gouvernements à travers le monde », insiste Anna Bateson.

Les publicités de firmes intimement liées aux énergies fossiles, comme les constructeurs automobiles ou les compagnies aériennes, continueront de figurer dans The Guardian. Anna Bateson précise que pour le journal, « les compagnies extractives, les compagnies d’énergies fossiles, sont qualitativement différentes, tant pour ce qui est du propos que de l’importance de leurs activités publicitaire et marketing ». Leurs pubs ne servent qu’à « former les perceptions et les réputations à leur égard, et c’est quelque chose que nous ne sommes plus prêts à accepter ».

En d’autres termes, les annonces d’Exxon, Chevron ou Total ne cherchent plus, aujourd’hui, à convaincre les lecteurs de choisir leur produit de préférence à celui d’un concurrent, mais à leur faire croire qu’elles investissent de manière significative dans les énergies renouvelables et participent à la transition. Il s’agit donc d’un message essentiellement trompeur. Anna Bateson cite à cet effet un tweet de Mark Ritson, de Marketing Week, qui ne fait pas de quartier : « Il est temps de suivre @guardian et de boycotter les grandes marques de pétrole et de gaz. Des compagnies comme ExxonMobil, BP et Shell dépensent 99% de leur budget publicitaire pour nous distraire avec du baratin vert, alors que 99% de leur business reste fermement ancré dans les énergies fossiles ».

Jean Lasar
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