Patrick Galbats : De Cadence

Romantisme années 2000

d'Lëtzebuerger Land vom 06.06.2014

« Je suis conscient que c’est banal, que cela se fait partout dans le monde… » Lorsque Patrick Galbats parle de sa recherche photographique actuelle sur les friches industrielles, il émet tout de suite une restriction quant à l’originalité présumée de l’entreprise. Et pourtant, ses photos, dont il montre actuellement une sélection cohérente à la galerie Dominique Lang à Dudelange sous le titre De Cadence, sont à mille lieues du cliché typique du touriste attiré par la décrépitude de bâtisses jadis si majestueuses. Réalisées analogiquement à la chambre photographique, qu’il a acquise pour l’occasion, elles n’ont subi aucune intervention numérique. Ce qui leur vaut cette incomparable profondeur de champ. Et elles ont été réalisées à la lumière naturelle, donc, là encore, sans intervention du photographe. Ce qui est encore plus incroyable au vu du résultat, où certaines couleurs clinquantes, du bleu au violet, donnent l’impression d’une « proposition artistique » du dernier artiste de lumières en vue.

Depuis que le dernier haut-fourneau s’est éteint à Belval, il y a 17 ans, toute l’attention publique se focalise sur cette friche dont le réaménagement avait été déclaré « priorité des priorités » par le gouvernement Juncker/Polfer à l’époque. La restauration et la stabilisation des derniers hauts-fourneaux est en train d’être terminée, ces « monuments dans la cité » seront inaugurés en grande pompe début juillet. Un peu plus loin, des cheminées ont été décapitées et ne sont plus que des moignons ; d’autres bâtiments sont désossés et leur carcasse accueillera une nouvelle fonction, comme la bibliothèque universitaire. Tout le complexe est désormais encerclé par de nouvelles constructions, dont certaines sont d’une bonne qualité architecturale, alors que d’autres ne sont qu’une architecture de bas étage comme la pratique le promoteur à la recherche du gain facile. D’ici quelques années, lorsque l’Université fonctionnera sur place et que le quotidien le plus banal des habitants aura pris le dessus sur le site en devenir, on pourra juger s’il s’agit d’une reconversion réussie ou pas.

« Le patrimoine industriel cumule les handicaps, écrivait l’historien du patrimoine industriel Emmanuel de Roux en 2000 déjà (in : Patrimoine industriel, éditions Scala) puisqu’il occupe de larges espaces convoités, au centre des villes, et qu’il ne possède pas, ou pas encore, le caractère ‘pittoresque’ ni celui de l’esthétique en vogue. » Le site Terres Rouges, à quelques kilomètres seulement à vol d’oiseau de Belval, est un bel exemple de cette affirmation : situé au centre-ville, utile pour le développement d’Esch-sur-Alzette, il est l’objet de toutes les convoitises des promoteurs immobiliers et des aménageurs publics, qui veulent y construire qui un stade de football, qui un hôpital ou encore des logements. Le principal bâtiment encore debout, la Centrale thermique (datant de 1953), a également arrêté son activité en 1997 (comme le haut-fourneau) et attend désormais probablement le même sort que ceux des bâtiments qui l’entouraient : sa destruction. Les herbes folles ont pris possession des lieux, des artistes anonymes ont décoré de nombreux murs de leurs graffitis, des visiteurs occasionnels se sont amusés à briser les carreaux en jetant des pierres.

Tout cela, Patrick Galbats a commencé à le documenter il y a trois ans, au début pour essayer sa nouvelle chambre photographique, puis il s’est pris au jeu et y est retourné encore et encore. « Je me sens de plus en plus Eschois, affirme-t-il, alors forcément, cette silhouette sculpturale est très présente dans mon quotidien. C’est probablement mon côté romantique ou nostalgique, mais il m’importait de documenter les lieux et leur transformation, parce qu’on ne sait pas quand ils vont disparaître. » Cette documentation du paysage après la fin du travail, il l’a voulue aussi précise et aussi objective que possible, avec une certaine distance aussi. La lentille Terres-Rouges est la mal aimée de la protection du patrimoine industriel, la société de valorisation Agora ne s’y est pas encore vraiment avancée, et, à part quelques intéressés pointus, peu d’amis de l’histoire industrielle ou de protecteurs du patrimoine ne se sont encore engagés pour que soient gardées des traces du passé industriel du site. Au début du siècle, la société de production de films Delux y avait organisé un tournage, du long-métrage A Secret Passage – or, elle n’avait nullement profité du charme du lieu, mais transformé le tout en… coulisses de Venise.

L’exposition De Cadence de Patrick Galbats dure encore jusqu’au 21 juin au Centre d’art Dominique Lang à Dudelange ; ouvert du mercredi au dimanche de 15 à 19 heures ; pour plus d’informations : www.galeries-dudelange.lu.
josée hansen
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