« Avec la création de la Maison du Grand-Duc, la Monarchie est renforcée comme institution et parée pour l’avenir. Ceci me permet, ainsi qu’à la Grande-Duchesse et aux générations futures de nous concentrer davantage sur la substance de nos activités. » La sentence du chef de l’État apparaît en exergue aux premières pages du rapport d’activités de la Maison du Grand-Duc publié en fin de semaine dernière. La phrase, en réalité tirée du discours de Noël 2020, illustre à la fois l’intérêt du rapport (éclairer le travail du souverain et de sa famille et l’utilisation des fonds publics) et la volonté du monarque d’associer son épouse la Grande-Duchesse Maria Teresa à l’exercice du pouvoir. Ce que la constitution ne prévoit pas.
Le premier rapport d’activité de la Maison du Grand-Duc se révèle un pansement sur une plaie. Il avait été prescrit par Jeannot Waringo. En 2019, le Premier ministre Xavier Bettel (DP) avait mandaté l’ancien directeur de l’Inspection générale des Finances pour éclairer la gestion des ressources humaines à la Cour. Une succession de révélations médiatiques avait mené l’exécutif à soupçonner une gestion du personnel contraire aux textes légaux, stigmatisant notamment le rôle prépondérant de la Grande-Duchesse. Le rapport du représentant spécial du Premier ministre auprès de la Cour, publié en janvier 2020, a confirmé les doutes. « Il s’impose de noter que les mouvements au niveau du personnel ont été très importants au cours de la période sous revue », écrivait Jeannot Waringo. Le super auditeur de l’État expliquait ainsi avoir rencontré « des collaborateurs de la Cour, des gens formidables » au service de « notre Souverain ». Mais certains d’entre eux se sentaient « constamment sous pression », lit-on aux pages 28 et 29 dudit rapport. « Je voudrais dire très honnêtement, et au risque d’être mal compris, que dans la chaîne décisionnelle du Palais, et surtout dans le domaine de la gestion du personnel, le rôle de la Grande-Duchesse qui exerce une fonction purement représentative ne devrait pas être un sujet de discussion. Il faut réformer le fonctionnement de notre Monarchie sur ce point essentiel », avait ordonné Jeannot Waringo. Quelques semaines avant la publication de son rapport, le Grand-Duc Henri avait, chose rarissime, diffusé un communiqué de presse pour défendre la Grande-Duchesse Maria Teresa après la parution d’articles dévoilant le contenu du rapport. « Pourquoi attaquer une femme ? Une femme qui défend les autres femmes ? Une femme à qui on ne donne même pas le droit de se défendre ? », avait interrogé le monarque au sujet de son épouse, « la mère de nos cinq enfants et une grand-mère très aimante ». « Toute ma famille en souffre », avait poursuivi Henri. Voilà pour la plaie et le contexte.
Le rapport d’activités de la Maison du Grand-Duc, institution créée sur les instructions du rapport Waringo, paraît pour la première fois en 2022, conformément à l’arrêté Grand-Ducal du 9 octobre 2020 instituant ladite Maison du Grand-Duc. À l’instar de ce qui s’apparente aujourd’hui à un rapport d’activités officieux pour la grosse vingtaine d’années de règne d’Henri, l’ouvrage Un Amour souverain (paru autour du premier anniversaire de la Maison du Grand-Duc) fait la part belle aux actions du couple grand-ducal. « More family photos than numbers in Grand Duke’s first report », écrit le Luxembourg Times ce mardi. L’exercice éditorial de 133 pages débute avec une succession de clichés. Sur soixante pages ! Les membres du couple royal apparaissent dans leurs engagements respectifs. Au Grand-Duc la santé (pandémie oblige), l’environnement ou le sport. À la Grand-Duchesse la culture, le combat pour les femmes ou les questions sociales. Toute une série de photos montre la croissance du Prince Charles (né le 10 mai 2020). Les activités de Maria Teresa et Henri apparaissent toutefois imbriquées et indissociables.
La partie financière du rapport détaille, elle, la séparation « claire et précise » entre le personnel qui est nécessaire pour l’exécution des fonctions officielles du Grand-Duc et le personnel qui appuie le Grand-Duc et sa famille dans leurs activités privées, comme le préconisait le rapport Waringo. Outre la gestion problématique du personnel qui avait alimenté le « carrousel » de la Cour, avec son lot de départs (51 départs en six ans alors que la Cour emploie 110 personnes), figurait surtout la question de l’utilisation du personnel, et donc des deniers publics. Début 2019, le Grand-Duc avait mobilisé la quasi-totalité de son staff pour le Forum Stand Speak Rise Up ! prévu en mars. L’événement, porté à bout de bras part la Grande-Duchesse sensibilisait aux violences commises sur les femmes en temps de guerre et devait attirer l’attention internationale. Trois prix Nobel et des grands noms des grandes causes avaient été associés. Maria Teresa a alors assis sa renommée dans la lutte pour les droits de l’Homme. Dans son rapport Jeannot Waringo avait souligné l’obsolescence du site officiel de la Cour, notamment par rapport aux sites, beaucoup plus léchés standspeakriseup.lu et fondation.lu qui n’étaient pas censés bénéficier des services de la monarchie (des fonds publics). Il avait interrogé mais pas pas obtenu « de réponse claire ».
Face au Land cette semaine, Jeannot Waringo se dit « très satisfait » du rapport d’activités. « Ils ont fait preuve de transparence », dit-il. L’impératif avec été longuement défendu dans son travail rendu en janvier 2020. « La transparence est tout d’abord une condition essentielle pour permettre aux citoyens de participer à la gestion des affaires publiques. La transparence permet également de responsabiliser davantage les gestionnaires de deniers publics », avait écrit l’ancien directeur de l’IGF. Au passage, Jeannot Waringo met en avant deux arguments en faveur de la monarchie. Celle-ci protègerait un État de l’élection d’un gouvernement populiste à la Trump. Et elle préviendrait des dérapages du capitalisme. « Ceux qui ont de l’argent peuvent influencer une élection », explique l’ancien haut fonctionnaire.
L’exercice de transparence, soutenu par le Premier ministre, fatigué par les polémiques sur le financement de la Cour, renforcerait la monarchie. Les services de Xavier Bettel ont d’ailleurs participé à l’élaboration du rapport d’activités, notamment par la présence du secrétaire général du conseil du gouvernement, Jacques Flies, à la tête du comité de coordination de la Maison du Grand-Duc, associé à la Maréchale jusqu’au 31 décembre dernier, Yuriko Backes. Ce comité, qui s’est réuni 19 fois en 2021, assure la continuité entre l’action du chef d’État et celle de l’exécutif. Il veille en outre à la cohérence du budget alloué, année après année, à la Cour.
Celui prévu pour 2021, 19 millions d’euros de dépenses courantes et 2,5 millions de dépenses en capital (notamment alloué à l’entretien des résidences de la famille grand-ducale), n’a été que partiellement utilisé du fait du nombre restreint d’activités à cause de la pandémie. Une bonne partie (72 pour cent) est dévouée aux dépenses en personnel. Sont d’ailleurs envisagés des indicateurs de bien-être au travail. Le taux d’absentéisme pour raisons de santé serait « dans les normes nationales ». « En faisant abstraction de sept agents qui ont eu des absences de dix semaines et plus au motif d’accident ou de maladie grave et qui représentent près de la moitié du total des absences (47,8%), le taux d’absentéisme est de 2,9 pour cent », lit-on dans le rapport d’activités. On retrouve d’ailleurs parmi les dépenses courantes 30 000 euros de frais de promotion du bien-être au et de la santé au travail.
Sont en outre présentés les différents métiers de la Cour, un par rapport d’activités. Cette année le valet est mis à l’honneur. « Il s’agit de veiller à offrir les plus hauts standards de service, en répondant toujours aux demandes de façon efficace et respectueuse et en préférant l’intention à l’extension. Être valet, c’est accompagner les membres de la Famille grand-ducale dans leur vie officielle comme privée », est-il écrit dans la job description. Sur les 97 personnes employées par la Maison du Grand-Duc, huit sont des valets. On attend la présentation du développeur informatique. Justement, les frais voués à Post (qui avaient fait débat puisque le rapport Waringo évoquait presque 600 000 euros de manque à gagner pour l’entreprise publique à cause de la gratuité offerte à la Cour) s’élèvent à 23 000 euros pour le téléphone et 190 000 pour le poste « réseau multimédia ». Le rapport produit d’autres détails d’importance : 88 000 euros de dépenses en « brochures et dépliants », 90 000 d’articles de bureau, 61 000 euros de renouvellement de la protection incendie dans la résidence des héritiers ou encore 267 500 euros « petit outillage »... C’est moins que l’entretien du palais grand-ducal et du château de Fischbach réunis.
L’exercice de transparence s’applique aussi aux associations dont les membres de la famille grand-ducale sont membres, ainsi que leurs patronages. Les fournisseurs de la Cour sont ensuite mis à l’honneur. Sont indiquées les années d’obtention du « brevet » initié au XIXè siècle par le Prince Henri ainsi que son mode d’attribution. Il est attribué aux entreprises ou commerces qui l’ont demandé et qui ont effectué, pendant une période d’au moins cinq années, « des fournitures régulières d’une certaine importance à la Cour grand‐ducale ». Une commission d’évaluation étudie les demandes. Outre la qualité des fournitures et des services, sont appréciées « la notoriété, la bonne réputation et plus généralement la politique de promotion du développement durable de l’entreprise et l’ancrage national. » On relève une augmentation des octrois depuis 2019.
Seize des 51 Fournisseurs de la Cour recensés ont accédé à cet honneur lors des trois dernières années :la bijouterie Goedert, la boucherie-Salaisons Marco Meyer, la brasserie Nationale Bofferding (qui rejoint son concurrent de Wiltz la brasserie Simon, ici depuis 1955), l’épicerie Thym & Citron, la librairie Ernster, la confection Lanners (magasin de prêt-à-porter à Ettelbruck), Käerzefabrik Peters, la concession Losch, Luxaviation, l’agence marketing Maâ-Oui, la menuiserie Dohm, Muller & Wegener (fourniture de bureau), le salon de Coiffure Eric et Laurent (dans la capitale), la Société Luxembourgeoise de Peinture, le traiteur Steffen (après le Schnékert de Cactus en 2001), Stoll Safety (matériel de protection incendie).
Contactée, la Maison du Grand-Duc informe que le brevet est remis pour dix ans, période au bout de laquelle la nouvelle candidature, le cas échéant, est évaluée. Le maréchal préside la commission d’évaluation et propose ses membres (issus de l’administration des bien et de la Maison du Grand-Duc) au chef de l’État qui valide sa composition et les décisions prises à l’issue de sa réunion annuelle. La restructuration du service en charge des fournisseurs et le recours aux échanges électroniques pour leur sélection (plutôt que par seul courrier postal jusque-là) a fluidifié les candidatures et adhésions. L’octroi du titre de Fournisseur de la Cour est soumis à une contribution annuelle qui couvre la durée durée de validité du brevet. Celle-ci est versée « sous forme de don au profit de la Fondation du Grand-Duc et de la Grande-Duchesse », nous informe la Cour. Le montant de la contribution est tû. Selon son dernier rapport annuel, ladite fondation a reçu 280 000 euros de dons en 2020 (le montant issu des fournisseurs n’est pas précisé). En 2019, cette fondation a grandement contribué au financement du Forum Stand Speak Rise Up !
Le Grand-Duc se satisfait lui aussi de l’exercice, « ni anodin, ni routinier ». En préparant le rapport, le signataire de l’éditorial, Henri, a pris conscience que ce dernier permettait « pour la première fois, de donner une idée de l’ampleur des tâches qui, en principe, incombent à la Cour ». « Il s’agit de documenter que l’institution monarchique a effectivement accompli les tâches qui lui ont été confiées. Au-delà, ce rapport est aussi un instrument de mesure fiable et précis qui montre une gestion financière saine, conforme au cadre légal et une bonne gouvernance menée en toute transparence », résume le chef de l’État.