d’Land : Madame la Maréchale, avez-vous lu et validé Un amour souverain qui paraîtra le 27 octobre et avez-vous vérifié que la date de parution soit au moins un peu éloignée de la date symbolique du 9 octobre ?
Yuriko Backes : Non, je ne l’ai pas lu. Il ne s’agit néanmoins pas d’une publication officielle et la Maison du Grand-Duc n’est ni éditeur ni auteur des textes. La date de parution ne relève pas non plus de ma responsabilité.
Voilà un an que vous dirigez la Maison du Grand-duc. Êtes-vous satisfaite du travail accompli ?
Oui, beaucoup a déjà été fait, mais il reste encore du pain sur la planche. Je ne doute pas que nous parviendrons à transposer tous les aspects de la réforme. Je reste positive.
Quelles sont vos principales satisfactions ?
Disons que les principaux défis furent la mise en place de la comptabilité de l’État et les nouvelles procédures en la matière. Cela a assuré de la transparence budgétaire d’un côté, et de l’autre la reprise du personnel par la Maison du Grand-Duc, respectivement par la fonction publique avant fin juin de cette année. On l’a fait, même s’il y a encore l’un ou l’autre détail à clarifier. Je suis aussi fière du lancement rapide du nouveau site monarchie.lu. Les équipes ont fait un excellent travail. Je dois dire que l’enthousiasme et la coopération au sein du personnel des différents sites pour travailler ensemble en vue de la mise en place de la Maison du Grand-Duc est une grande satisfaction.
Quels ont été les principaux problèmes ?
La mise en équivalence des postes transférés fut un processus difficile. Nous avons certains métiers à la Cour qui n’existent pas comme tels dans la fonction publique (par exemple valet ou argentier), et qui ne peuvent être documentés par une formation qui n’existait pas au moment de l’enrôlement de ces personnes. Ces problèmes n’ont toutefois pas été insurmontables. De façon plus générale, il faut admettre que cette séparation entre volets officiel et privé n’est pas toujours facile à mettre en œuvre. La communication interne entre trois sites (le palais, Berg et Fischbach, ndlr) est également un défi. On y travaille.
Est-ce qu’un rapport sera remis au premier semestre 2022 ?
Absolument, au premier semestre 2022, et pour la première fois dans l’histoire de la Cour grand-ducale, un rapport sur les activités officielles du Grand-Duc et de la Grande-Duchesse, du Grand-Duc héritier et de la Grande-Duchesse héritière, et des membres de leur famille ayant participé à des événements officiels, sera publié par la Maison du Grand-Duc. Il sera remis à la Chambre des députés, mais sera également publié en entier sur le site monarchie.lu. Selon l’arrêté grand-ducal, ce rapport doit également rendre compte de l’exécution du budget alloué pour l’exercice en question, ainsi que de l’inventaire des biens, propriété de la Famille grand-ducale, qui contribuent à l’exercice de la fonction du Chef de l’État et pour lesquels le budget de l’État prend en charge les frais d’entretien, de réparation et de rénovation.
Vous êtes en train de définir le contenu du rapport. Qui participe à son élaboration ?
Ce sera le rapport sur les activités de l’année 2021, année atypique, marquée fortement par la pandémie, sans visites d’État ou autres événements d’envergure. Oui, on commence à travailler sur le concept et le format. Le comité de direction s’y penche actuellement, et les différentes équipes de la maison seront impliquées et sollicitées dans son élaboration.
Qu’est-ce qu’un « événement officiel » selon l’arrêté ? Est-ce que la remise du prix à la Grande-Duchesse par la Représentante spéciale des Nations Unies Pramila Patten, en présence du ministre Jean Asselborn, était un événement officiel ?
Un événement officiel est un acte soit où le Grand-Duc agit en tant que chef de l’État (ou délègue un membre de la famille à le représenter), soit où il (ou son représentant) représente son pays sous une forme ou une autre. En ce sens, la remise du titre de championne de la lutte contre les violences sexuelles liées aux conflits à son altesse royale la Grande-Duchesse par la Représentante spéciale des Nations Unies aurait pu avoir vocation d’être considéré comme évènement officiel. Toutefois et afin d’éviter toute équivoque, leurs altesses royales avaient décidé que l’événement serait organisé et financé par le côté privé et l’association Stand Speak Rise Up !. La Maison du Grand-Duc a mis à disposition du personnel pour encadrer cette manifestation qui s’est déroulée au Château de Berg.
Vous prenez vos marques en tant qu’institution. Quel a été le budget utilisé pour 2021 ? Quel est celui demandé pour 2022 ?
Pour 2021, le budget. de l’État a alloué en gros vingt millions d’euros à la Maison du Grand-Duc, frais de personnel et dépenses en capital compris. Nous n’allons pas utiliser cette enveloppe en totalité, vu que les activités furent réduites en raison de la pandémie. Hors frais de personnel et investissements (gérés par d’autres administrations de l’État), nous allons utiliser environ 2,5 millions en 2021 pour le fonctionnement de la Cour. Les investissements s’élèvent également à 2,5 millions, sécurisation des sites compris. 85 pour cent de ce montant sont investis dans le Domaine de l’État. Pour 2022, comme la Maison du Grand-Duc ne gère pas tous les articles budgétaires, je ne suis pas en mesure de vous donner un chiffre concret à l’heure actuelle. Il y aura certaines adaptations par rapport à 2021 basées sur l’expérience de la première année, et nous tablons sur une reprise des activités officielles. Cela se traduira nécessairement par une augmentation des fonds mis à notre disposition.
Combien de gens travailleront à la maison du Grand-Duc une fois la vitesse de croisière atteinte ? Quel était le headcount quand vous êtes arrivée en juin 2020 ?
L’effectif de la Maison du Grand-Duc, tel qu’inscrit à la Fonction publique, s’élève actuellement à 93 personnes. Il faut rajouter les détachements d’autres administrations de l’État qui représentent un effectif de 47 personnes, dont 31 policiers affectés à la sécurité des personnes et des sites. Une comparaison avec juin 2020 est compliquée vu les effets de la réforme, mais nous avons créé neuf nouveaux postes depuis mon arrivée. Quatre postes supplémentaires devraient se rajouter d’ici 2025, et quatre nouveaux postes de policiers étaient prévus dès la mise en place de la réforme.
Quelle est la composition du bureau de la Grande-Duchesse et quel est son budget ?
Trois personnes : une conseillère, une assistante et un aide de camp. Au-delà, il y a toute une équipe à la disposition de son altesse royale, à commencer par la Maréchale, le directeur du bureau de la Maréchale, l’équipe communication, parmi d’autres. Il n’y a pas de budget spécifique dédié à ce bureau, ni au bureau du prince Guillaume d’ailleurs. Le budget couvre les frais qui sont en lien direct avec les activités officielles.
Quelle est la composition du bureau du Grand-Duc héritier ?
Également trois personnes : un conseiller (un diplomate de carrière qui a rejoint l’équipe cet été), une assistante et un aide de camp. Notez que pour la première fois, l’arrêté grand-ducal prévoit que le budget de l’État couvre les frais d’entretien et de rénovation du Château de Fischbach, domicile aujourd’hui du Grand-Duc héritier, de la Grande-Duchesse héritière et du Prince Charles.
De manière générale, le budget de la Maison du Grand-Duc est soumis aux mêmes règles et principes que toutes les autres administrations de l’État, y compris au niveau du contrôle financier et de la Cour des comptes. La Direction du contrôle financier a d’ailleurs salué l’introduction sans heurts de la comptabilité de l’État à la Maison du Grand-Duc au 1er janvier 2021.
Dans une interview à Paris Match en février, des accusations de misogynie de l’institution et du gouvernement ont été proférées. Vous avez tapé du poing sur la table en signalant que cet entretien n’avait pas été autorisé. Qu’est ce qui est sorti de cet exercice de pouvoir ?
Je fais le travail qui est attendu de moi et que j’ai accepté de mener à bien sur demande du Grand-Duc. Dans la communication, la Grande-Duchesse a plus de libertés de s’exprimer que le Chef de l’État, et elle en fait usage. Je suis à sa disposition, avec l’équipe de la Maison du Grand-Duc, pour la soutenir dans ses activités et communications officielles, et cela dans l’intérêt du pays et de son image de marque. Pour l’interview en question, son altesse royale la Grande-Duchesse n’a pas eu recours aux services de la Maison du Grand-Duc. C’est son choix et c’est son droit.
Avez-vous été blessée par les accusations de misogynie ?
Je ne me sens pas visée. Par ailleurs, je ne connais aucune femme, au Luxembourg ou ailleurs, qui n’a pas été victime de comportements dits « misogynes » dans sa vie, moi-même comprise. Ce qui est visé ici, je crois, c’est l’appellation « Maison du Grand-Duc ». Je ne vois aucun problème à ce que le moment venu, et la question se posera au plus tôt avec le premier enfant du Prince Charles, la Maison soit rebaptisée « Maison de la Grande-Duchesse ».
Vous devez gérer la communication du Grand-Duc et de sa famille. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Qui a la main sur le compte Twitter de la Grande-Duchesse, laquelle a été la première éminence luxembourgeoise à réagir à la reprise de Kaboul par les Talibans ?
Je suis en charge de la communication officielle, avec une petite équipe dédiée. Cela couvre aussi le volet réseaux sociaux. Le compte Twitter de SAR la Grande-Duchesse est géré par son équipe privée, et ne fait ainsi pas partie de mes responsabilités.
Avez-vous participé à l’élaboration de l’arrêté grand-ducal ?
Oui. Beaucoup de réunions ont eu lieu entre le ministère d’État en tant que chef de file et moi-même avec quelques collaborateurs de la Cour. Toute une série de changements furent apportés au projet à notre demande. Le Grand-Duc, qui a signé l’arrêté, ainsi que le Grand-Duc héritier, furent étroitement associés à ce processus.
Comment le Maréchal de la Cour, censé porter cette séparation, arrive à s’immiscer dans un couple qui veut régner ensemble ?
Il s’agit de séparer l’officiel du privé, et de gérer une administration selon des nouvelles règles administratives et budgétaires, avec une hiérarchie et des responsabilités claires, et cela au service du chef de l’État et de sa famille. Pour le Grand-Duc, le couple est très important. Il associe son épouse, et d’ailleurs toute la famille, aux décisions importantes. Mais le rôle de chef de l’État ne peut être assumé que par une seule personne, seule ou accompagnée.
Les discussions sur la réforme constitutionnelle arrivent à échéance à la Chambre. Le premier exercice de la Maison du Grand-Duc les inflluencera-t-il ?
La création de la Maison du Grand-Duc par le biais de l’arrêté grand-ducal se limite à organiser l’administration qui est au service du chef de l’État et ne touche en rien les pouvoirs constitutionnels du Grand-Duc; la révision de la constitution est un exercice tout à fait à part. À noter que l’administration du chef de l’État, aux termes du projet de texte de la nouvelle Constitution, tiendra compte de l’intérêt public et jouira de la personnalité juridique. Dans une démocratie moderne, il paraît normal qu’un chef d’État, élu ou non – mais à plus forte raison s’il n’est pas élu – soit soumis au contrôle démocratique. Le Grand-Duc est un homme de son époque, et soutient la modernisation de notre constitution.
Est-ce qu’un sondage a été réalisé ou sera réalisé pour mesurer le degré d’adhésion de la population à la monarchie ?
Ce n’est pas à l’ordre du jour que je sache.
Puisque deux vice-premiers ministres se sont octroyés des CDD, combien de temps vous donnez vous à ce poste ?
La mienne n’est pas une nomination politique, ne confondons pas les choses. Je serai à ce poste aussi longtemps que je bénéficie de la confiance de son altesse royale le Grand-Duc. C’est un honneur pour moi de travailler pour le chef de l’État.