Samedi après-midi, la Police informe le public que les piscines du Sud du pays sont bondées et n’acceptent plus de visiteurs. Dans l’Ösling, les plages du lac de la Haute-Sûre sont également prises d’assaut, les voies d’accès totalement engorgées : « Bitte Stauseeregion meiden ». À Lultzhausen, la caserne des pompiers se retrouve bloquée par des voitures mal garées. Quelques jours plus tard, le Wort pointe une « Problemklientel » qui aurait provoqué un « unbestrittenes Chaos » et laissé des « Berge von Müll und Unrat » dans son sillage. À Amnéville et à Hagondange, les forces de l’ordre doivent intervenir après que des centaines de personnes ont enjambé les tourniquets et plié les clôtures pour forcer le passage : « Panique dans les piscines », titre le Républicain Lorrain. Dans son édition de samedi, le Tageblatt présente « dix idées pour garder la tête froide », dont la moitié sont souterraines. Les Luxembourgeois pourraient ainsi descendre dans le Musée des mines à Rumelange, les Casemates de la capitale ou les caves à vin mosellanes. À moins de chercher refuge dans un château féodal : « In den historischen Gemäuern findet man mit Sicherheit Ecken, in denen es schon fast kalt ist ». La canicule du week-end dernier a établi à plusieurs endroits de nouveaux records pour la saison : 36,9°C à Bettembourg et 35,7°C à Ettelbruck. La plupart des médias luxembourgeois l’ont traitée dans la rubrique locale comme un fait divers, sans faire le lien avec le dérèglement climatique. (En pleine vague de chaleur, le président du Groupement pétrolier put tranquillement débiter son cahier de revendications sur la matinale de RTL-Radio ; le terme « climat » ne tomba pas une seule fois durant les dix minutes de l’interview.) Une couverture qui exprime la difficulté d’admettre que nous avons déjà basculé dans un autre monde.
Les canicules sont devenues plus fréquentes, plus précoces et plus intenses. Elles risquent également de devenir plus meurtrières. Les ménages pauvres vivant dans des appartements exigus et mal isolés seront les plus exposés aux journées et nuits de surchauffe. Ce sont les mêmes personnes précaires qui s’étaient retrouvées prises au piège par le Grand Confinement et touchées le plus durement par les premières vagues de la pandémie. Il y a deux mois, le ministère de l’Environnement a discrètement publié une modélisation sur les « îlots de chaleur urbains ». Celle-ci fait ressortir une fracture socio-climatique. Parmi les « thermisch eher unbelastete Gemeinden » sont citées les communes nanties de Kopstal, Heffingen et Weiler-la-Tour, tandis que les villes ouvrières Esch-sur-Alzette et Differdange présentent, tout comme la capitale, « eine (sehr) ungünstige bioklimatische Situation ». (En 2017, le Statec avait calculé un salaire médian de 2 600 pour Differdange et de 4 800 euros pour Weiler-la-Tour.)
L’adaptation des villes au dérèglement climatique s’impose comme un impératif. Les citadins doivent se préparer à vivre sous des dômes de chaleur, avec des températures pouvant dépasser les 40°C. (Le record actuel fut mesuré en juillet 2019 : 40,8°C.) L’analyse climatique commanditée par l’Environnement propose vingt mesures : Verdir les façades, les toits et les arrière-cours, planter des arbres (en évitant que les couronnes forment un toit au-dessus des rues les plus empestées par le trafic), choisir des couleurs claires, notamment pour la toiture, poser des dalles à gazon plutôt que de goudronner… Pendant ce temps-là, la Ville de Luxembourg opte pour des réaménagements ultra-minéralisés de Hamilius, de la Place de Paris et du Knuedler qui, lors des prochaines canicules, se transformeront en poêles à frire. Quant à la végétalisation des rues, elle nécessiterait le courage de supprimer des places de parking.
Les fournaises européennes paraissent encore tempérées par rapport à ce que vivent les personnes le long de l’équateur. Publié il y a deux ans, The Ministry for the Future imaginait une canicule génocidaire frappant l’État d’Uttar Pradesh à la fin des années 2020 : Dans ce roman d’anticipation, la combinaison entre chaleur extrême et très forte humidité tue plus de vingt millions de personnes. L’auteur, Kim Stanley Robinson, décrit une rupture civilisationnelle qui, dans l’immédiat, débouche sur les « zombie years » des années 2030 : « They went through the motions, always in a state of suspended dread, always aware of their wounded status, wondering what massive stroke would fall next, and how they would manage to ignore that one too. »