Depuis lundi soir 15 avril, Paris est redevenue la capitale du monde. À la vue des flammes dévorant la charpente de chêne multiséculaire de Notre-Dame, les télévisions ont basculé en direct pour montrer ce coeur de la ville brûler, pendant qu’une foule de milliers de Parisiens et de touristes étrangers assistait, inquiète et impuissante, à la chute de la flèche de 93 mètres et à la disparition d’une grande partie de la voûte et des vitraux. La cathédrale avait survécu 850 ans aux guerres et aux révolutions. En ce début de XXIe siècle, un incendie de chantier la faisait vaciller. Même si le feu était maîtrisé mardi à l’aube, la façade et les deux tours sauvées, une onde émotionnelle considérable a parcouru maints endroits de la planète, suscitant messages de compassion et dons spontanés pour rebâtir la partie détruite du monument. Ce sera fait « tous ensemble », a lancé le président de la République en parlant d’un « destin français », peu après avoir annulé le discours télévisé extrêmement attendu par lequel il devait répondre à la révolte des « gilets jaunes » surgie il y a cinq mois des profondeurs du pays.
C’est que le temps et Victor Hugo ont fait de Notre-Dame bien plus qu’un édifice : le symbole du pays, dans sa métamorphose de la monarchie capétienne à la nation républicaine. Depuis le « temps des cathédrales », les XIIe et XIIIe siècles qui ont vu s’élever vers le ciel ces symboles du catholicisme tout puissant, d’Amiens à Troyes et de Reims à Chartres,
Notre-Dame a connu le couronnement de Charles VI et le mariage du futur Henri IV, quelques jours avant le massacre de la Saint-Barthélémy. Le sacre de Napoléon empereur en 1804 et les funérailles des présidents de Gaulle puis Mitterrand. La célébration de la Libération de Paris, en août 1944, et l’hommage aux victimes des attentats de novembre 2015. Et puis il y eut le grand Hugo, qui a moins de trente ans quand il invente Esmeralda et Quasimodo, et fait de l’édifice un personnage de roman, sobrement intitulé Notre-Dame de Paris. C’est en 1831, quatre décennies après la Révolution et le jeune écrivain, dont la valeur n’attend pas le nombre des années, veut réhabiliter l’édifice mal entretenu : il l’entoure de gens de tous milieux sociaux, du peuple et de la bourgeoisie, des étudiants et des réprouvés. Ce faisant, et avec l’immense succès aidant, il va peu à peu transformer un bâtiment ecclésial en symbole de la nation, humaniste et intemporel, au-delà de son origine religieuse.
L’histoire, la littérature, la nation… Notre-Dame devient une part de l’imaginaire collectif français. Et bientôt la création hugolienne se diversifie en films hollywoodiens, dessin animé, comédie musicale au succès retentissant, faisant du bâtiment un des emblèmes les plus connus de Paris et du catholicisme. Et aujourd’hui, le monument le plus visité d’Europe, avec quatorze millions d’entrées par an. Il ne peut que renaître de ses cendres.