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Un samedi en folie

d'Lëtzebuerger Land vom 17.06.2022

Rien ne laissait encore présager la foule, les cris, toute la vie qui jaillira bientôt à Esch, au Gaalgebierg. L’ambiance est, en ce samedi après-midi, plus proche d’un couvre feu covidien. Seules quelques personnes se promènent à travers les chemins, toujours plus en altitude, qui serpentent le parc verdoyant. Le soleil cogne et le mercure affiche 27 degrés. On cherche l’ombre une fois arrivés devant les deux scènes qui accueilleront les Francofolies. Esch fait maintenant partie de la noble confédération du festival, rejoignant Montréal, Noumea, Blagoevgrad en Bulgarie, Saint-Paul à la Réunion, Spa en Belgique et La Rochelle en France, ville natale des festivités francophones.

Nous arrivons pour voir Pierre de Maere, jeune chanteur belge haut en couleurs, à commencer par son pantalon bariolé. Sacré personnage, aérien et maniéré, aux envolées saisissantes. Un premier concert très prometteur, auquel les artistes suivants ne donneront pas tort. Ils sont tous cools, engagés, et si contents d’être de retour sur scène, qu’ils se donnent à fond. Ils sont aussi inattendus : Pierre doit reprendre son single « Un jour je marierai un ange », car il n’était « pas dedans » (la tête dans les nuages ?), Hoshi sort le drapeau LGBT, Gaël Faye plonge dans la foule et Grand Corps Malade fait une fausse sortie. Pas de surprise cependant chez Clara Luciani, éclatante comme toujours. Certains ne sont pas photogéniques, ne savent pas chanter ni danser, elle réussit les trois à la fois.

Et chacun à leur façon, ils séduisent le public. Que ça soit Hoshi, sa sincérité et sa voix rauque, ou Noé Preszow et ses paroles toujours justes. Les chanteurs et chanteuses sont un peu comme une grande famille et se soutiennent entre eux : Gaël Faye monte sur la scène de Grand Corps Malade pour être sur la photo de son ami et le slameur défend Hoshi à travers On veut des gens beaux, qui parodie les propos de Fabien Lecoeuvre. Le chroniqueur avait fait polémique en avril de l’année dernière, disant de la chanteuse qu’elle était « effrayante », n’avait pas sa place sur un poster et ferait mieux d’être interprétée par, je cite, des « Vanessa Paradis, des Vartan, des Françoise Hardy de l’époque... ». Une moquerie aux paroles simples qui ambiance tout le monde.

Si l’émotion est présente tout au long du festival, elle devient presque palpable au moment où Grand Corps Malade entonne son immanquable Dimanche soir. Le soleil s’est couché depuis un moment et seuls la lune et les projecteurs nous éclairent. Au rythme de ses paroles, tout le monde (re)tombe amoureux, même si chacun ne sait pas bien de qui ou de quoi… Celui qui a véritablement enflammé le public est sûrement Gaël Faye. Le Franco-rwandais a le don de passer du rap à la musique afro. Il nous fait bouger du bassin ou « chalouper » comme il dit, battre le rythme de nos mains, sauter sur place en hurlant. Ils étaient tous si bons qu’il nous restait peu d’énergie pour Bon Entendeur. Après avoir mangé ce qui restait des food trucks passé minuit, une galette de maïs jambon-fromage qui a l’unique mérite d’être comestible, nous nous laissons bercer par les reprises musicales tout en s’en retournant dans la nuit encore chaude. À demi sourds, encore éblouis, sans guère plus de voix. De la musique plein la tête, des étoiles plein les yeux, épuisés mais heureux.

Yolène Le Bras
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