Musique live

Si Neimënster pouvait parler

Le festival Reset au Neimënster
Foto: Kévin Kroczek
d'Lëtzebuerger Land vom 24.01.2020

Initié en 2018, le festival Reset s’est imposé comme l’un des principaux festivals de jazz du pays. Il faut dire que son concept, celui de réunir une semaine durant quatre musiciennes et quatre musiciens venus de pays différents, était inédit. Outre le côté paritaire qui mérite d’être souligné, c’est surtout la rencontre éphémère d’artistes accomplis qui vaut le coup d’oreille. Cette année encore, Neimënster, l’institution instigatrice du projet, a accueilli en son sein une jolie brochette de jazzwomen et de jazzmen. Respectivement, la saxophoniste et chanteuse espagnole Eva Fernández, la percussionniste hollandaise Natascha Rogers, la contrebassiste belge Lara Rosseel, la vibraphoniste japonaise Taiko Saito, le flutiste français Joce Mienniel, le clarinettiste roumain Alex Simu, le trompettiste allemand Sebastian Studnitzky et enfin, le pianiste autochtone Michel Reis, qu’on ne présente plus. Les huit artistes en résidence une semaine durant ont bossé dur. Et ce, sous la houlette de l’infatigable directeur artistique du festival, Pascal Schumacher.

Jeudi 16 janvier, le public est venu en nombre pour assister au traditionnel parcours musical. L’institution annoncera le lendemain le chiffre de 170 spectateurs présents. Le concert d’ouverture a lieu dans une salle voutée du bâtiment Bruch à Neimënster. Michel Reis et Taiko Saito forment un couple musical détonant. Postés devant deux larges fenêtres, ils jouent en osmose. La lumière fuchsia accentue le romantisme de la musique du pianiste, directement reconnaissable. Saito développe une atmosphère nébuleuse en frottant les lames de son instrument avec un archet. La chaleur est étouffante, une file s’est formée à l’entrée de la pièce.

Le second set a lieu dans le lounge du Melusina. Changement d’ambiance. Tapisserie murale à motifs, deux lustres et une boule à facette, au plafond, pour un rendu quelque peu seventies. Schumacher appelle les musiciens et taquine le parisien Joce Mienniel. « Il doit sans doute être au bar. » « Ou en grève ! » ajoute un spectateur, visiblement satisfait de son bon mot. Sebastian Studnitzky, Joce Mienniel donc et Eva Fernández se partagent l’estrade. Cette dernière, engagée en tant que chanteuse ne chantera finalement que très peu. Quelques notes délicates ici et là. Elle est cramponnée à son saxophone le reste du temps et offre un jeu complet à l’instar de Studnitzky. Le trompettiste se met toutefois à traficoter ses petites machines, produisant une sorte de grésillement, franchement dispensable. Le jeu de Mienniel est admirable, tantôt nerveux tantôt charmeur. La performance est pointue, orientale et free par à-coups. La soirée se prolonge au Zapschoul, au cœur des rives de Clausen.

Le lendemain, les membres de la troupe présentent le fruit de leur résidence dans la salle Robert Krieps, quasi pleine là encore. Dans son speech d’ouverture étonnamment court – six minutes tout de même – Pascal Schumacher se félicite du succès de l’initiative, à raison. Une heure quinze durant, les artistes interprètent des compositions inégales mais variées. On retient une pépite folklorique où la clarinette est reine, des dialogues musicaux percutants et un superbe réarrangement de How It All Began, composition de Michel Reis. Les percussions sont un chouilla en dessous. Le flutiste donne le la et les regards d’approbation de ses camarades en disent long.

Si les murs de l’institution pouvaient parler, ils se féliciteraient sans doute de la présence de ces octets paritaires annuels. Le centre culturel du Grund, ancienne terre d’accueil du jazz, supplanté entretemps par Opderschmelz, revient donc doucement dans la course. Non content de rassembler, trois soirs durant, un public exceptionnellement nombreux, les artistes regroupés témoignent de jolies valeurs, de diversité notamment. Tandis que lors de l’édition précédente, la cohésion du groupe semblait inexistante, celle de la promotion 2020 saute aux yeux. Il fallait en effet voir les tronches que certaines et certains tiraient sur scène l’an dernier. En guise de conclusion, les artistes se lèvent en tapant des mains, rejoignant doucement les backstages. Et même si le tout semble un peu awkward, ils transpirent la bonhomie. Standing ovation, un peu exagérée tout de même par quelques spectateurs des premiers rangs. Rebelote le lendemain, à la brasserie Wenzel puis dimanche à Sarrebruck où les huit artistes ont été conviés au festival Resonanzen. Le rendez-vous est pris pour l’an prochain.

Kévin Kroczek
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