En préfiguration du 16e Festival du Printemps des Poètes de Luxembourg, la Kulturfabrik, qui reprend du service en accueillant la soirée d’ouverture du festival le 21 avril, vient de recevoir, au Kinosch, la Compagnie des Indiscrets avec un spectacle inédit et savoureux Joseph Java l’interview (Questions de poésie générale). Écrit et créé en 2021 par les fondateurs de la compagnie, Lucie Gougat (metteure en scène) et Jean-Louis Baille, le texte à la croisée des genres est paru l’an dernier aux éditions Image Latente. Une petite forme (moins d’une heure), une belle rencontre qui aura aussi su séduire le jeune public.
S’il y a une vraie tradition du clown à la Kulturfabrik (avec notamment son festival Clowns in Progress qui rayonne depuis 2010), le rendez-vous proposé par Joseph Java l’interview est autre chose encore. Ici, on assiste à un dialogue entre un clown – « ce poète en action » selon Henry Miller – et un non-clown (tout aussi clown !) sous forme d’une vraie-fausse interview autour de la poésie, de sa place dans le monde actuel, de ce qu’elle peut ou ne peut pas. L’entretien, forcément décalé, s’aventure sur des terrains inattendus, jonglant avec non-sens et absurde, fantaisie et imaginaire, émotion et rire et bien plus encore.
Dès qu’on entre dans le petit cinéma, on est face à une scène aménagée pour les besoins d’une interview filmée (avec petite table, bouquins, chaises, projecteurs et caméra). L’interviewer Georges Barbas (Paul Eguisier), qui se présente comme un vidéaste, s’en va d’ailleurs chercher son interlocuteur, Joseph Java (Jean-Louis Baille), dit Jo, le clown au nez rouge. Les deux comédiens forment un sympathique et étonnant duo scénique. Après avoir exposé la méthode de son documentaire (work in progress) et évoqué ses périples pour collecter des témoignages pour savoir si la poésie nous parle toujours et de quelle manière, l’heure est donc venue pour Georges Barbas d’échanger avec Joseph Java qui prendra les choses au pied de la lettre. Le dialogue va emprunter des chemins insoupçonnés et les deux personnages vont multiplier les grands écarts alors que leurs mondes semblent si éloignés l’un de l’autre mais de moins en moins au fil de la conversation.
« La poésie, c’est quoi ? » demande Barbas. « C’est quand ça fait pas mal », répond Java. Les voilà lancés dans un échange improbable, où les mots fusent et dérapent, où les gestes, les regards, les silences ont toute leur place. La poésie peut-elle être ailleurs que dans les mots ? Bien souvent les questions restent sans réponses et appellent de nouvelles interrogations. Parfois Java est désorienté, parfois Barbas, parfois les rôles s’inversent.
Au fil de l’interview, il est question de mots qui réconfortent ou réveillent, de poésie-câlin ou de poésie « coup de poêle sur la tête » (« Hop ! La poésie ! Paf ! »), de mots oubliés, de poésie visuelle ou musicale (la poésique). Il en va aussi de la poésie des choses, de la poésie qui se planque dans une chaise ou dans une pomme, comme cette poésie « en acte de faire tarte ». À la table de l’interview s’invitent Rimbaud et Nijinski, lus par Barbas, et ces personnes lambda dont les (faux) témoignages sont également repris. Au final, « on va bien lui trouver une petite place » à la poésie, dans le monde, si grand, et dans le cœur des gens, parfois si petit.
On est ému, on sourit, on rit… Joseph Java l’interview (Questions de poésie générale) nous emmène dans un monde de possibles, un monde « en état de poésie ». Comme dit le poète René Depestre, « l’état poétique est le seul promontoire connu d’où par n’importe quel temps du jour ou de la nuit l’on découvre à l’œil nu la côte nord de la tendresse ».