Mardi 28 mars, 18h30, nous déposons nos chaussures dans un grand bac en plastique, après avoir utilisé l’ascenseur, monte-charge pour les décors du studio du Grand Théâtre de Luxembourg, pour entrer, ensuite, dans « l’utérus ». Grimpant quelques marches, on nous invite d’abord à participer à une séance de méditation collective. L’immense lit circulaire, percé au cœur d’un trou d’où sortiront les comédiens – nous ne ferons aucunes métaphores douteuses là-dessus –, est couvert d’un toit de tulle. Le décor est un pêlemêle d’éléments décoratifs des productions érotiques des années 1970-80, et du décorum complexe participant à l’étrangeté ressentie au cœur du Matrimandir – ou « temple de la Mère », en sanskrit – d’Auroville. Signé Noemi Baumblatt, ce décor happe et intrigue évidemment, d’autant qu’il nous place au centre des préoccupations dramaturgique, à savoir les questions passionnelles et débats de feu qui peuvent entourer la GPA (Gestation pour autrui) et la PMA (Procréation médicalement assistée). Là, dans ce monde à part, dont seule Renelde Pierlot a le secret, enveloppé de ces débats « clivants », mais pas tant que ça non plus, nous sommes emportés dans une pièce qui insiste un peu trop sur son aspect documentaire, oubliant de nous offrir aussi la poésie et théâtralité à laquelle la metteure en scène nous a habitué.
Alors, voilà Pierlot nous resservir ses Renelderies, et on y court. Pourtant, si nous avions adoré ça sur ses précédentes, telles que son désopilant Voir la feuille à l’envers (2019), son ambitieux Pas un pour me dire merci (2021), ou son magico-mélancolique Let Me Die Before I Wake (2021), il faut l’avouer que la déception nous habite au sortir de Mettre au monde. Bon, la recherche de fond est toujours évidemment exemplaire, le propos tout à fait bien tenu, mais son déballage est trop insistant, trop long, presque trop complet, au point que nous n’avons plus de place pour nos propres réflexions, notre propre avis sur la chose, tant tout nous est haché menu. Nous n’avons même plus le droit d’être spectateur, Pierlot nous positionne en témoins, et c’est inconfortable… Le premier degré de Mettre au monde est tel qu’on nous matraque de faits, ceux issus de témoignages compilés en une dramaturgie certes bien structurée, mais sans l’âme théâtrale que Pierlot a su injecter à ses récits précédents. Au final, on ne s’offusque de rien, on ne s’émeut de rien non plus, tout est là, gravé dans le marbre, de l’histoire-géo’ qu’on ne peut réfuter. Et c’est tout à fait instructif, un cours magistral sans poésie, presque hors de toute théâtralité, si ce n’est ce décor fou et quelques costumes sobrement exubérants.
On est tout proche d’enfoncer des portes ouvertes, mais, tout de même, Renelde Pierlot sait s’entourer, et le quatuor de comédiennes et comédiens, il faut l’admettre, est superbe. On retrouve l’un des cadres de son théâtre, à ses côtés depuis longtemps, l’immense Francesco Mormino, qu’on adore en toutes circonstances. Avec lui, brille aussi Marianne Bourg, dans un jeu plus « étiré » mais très convaincant et émotif, et puis, pour compléter le carré, les deux « petits nouveaux » de la scène luxembourgeoise, Nora Zrika, qu’on voit décidément partout, et le frontalier Stéphane Robles, tous deux efficaces. Au-dessus des quatre interprètes, la metteure en scène laisse planer la musique contemporaine de Malika Fankha, de son nom de scène Dark Euphoria. Compositrice électronique géniale, d’un charisme fou, la virtuosité de Fankha ajoute une magie qu’on aurait aimé imprégner plus encore la pièce. Logée hors de l’utérus, elle apparaît et disparaît telles des visions, des délires éveillés, censées nous sortir d’une scène ou de l’autre. L’idée est adroite et provoque l’effet hallucinatoire recherché, quitte à parfois nous faire pouffer, tant l’absurdité nous emporte. Ainsi, le potentiel musical de Dark Euphoria est au service de l’œuvre générale, nous faisant planer plus encore, couchés là, dans cet organe d’enfantement. Un facteur qui nous remet face au théâtre « Reneldien », qu’on apprécie tant, et qui se fait toutefois rare dans ce Mettre au monde. Une dernière signature de Pierlot qui n’est pas ratée, n’allons pas jusque-là, bien qu’elle ne nous ait pas émoustillé autant que ses créations « mises au monde » sur les saisons précédentes. Alors, vivement la saison prochaine.