Quel est le point commun entre Tuula Riitta Pynnä, cheffe du contentieux aux affaires européennes du ministère des Affaires étrangères finlandais puis juge à la Cour constitutionnelle, et Petra Skvarilova-Pelzl, fonctionnaire tchèque à l’unité recherche et doc de la Cour de justice, brièvement référendaire d’un juge en fin de mandat ? Réponse : Depuis le 26 septembre dernier, elles sont toutes les deux juges au Tribunal européen. Toutes les deux ont fait l’objet d’un avis favorable de la part du comité 255, lequel vient de publier son rapport d’activité. Il y explique quels sont ses critères d’évaluation des candidats que leur envoient les gouvernements. Des explications pas vraiment convaincantes.
Sur les sept membres qui composent ce comité – son nom découle d’un article du Traité de l’UE – trois sont du sérail. Simon Busuttil, ancien parlementaire européen a été nommé par le Parlement. Les autres ont été proposés par le président de la Cour, Koen Lenaerts, et approuvés par le Conseil de UE, donc par les gouvernements. On y trouve
Christiaan Timmermans qui a été juge à la cour de 2000 à 2010. Il siège dans le comité depuis 2014 et en est devenu le président en 2018. Et Maria Martins De Nazaré Ribeiro. Une carrière de référendaire l’avait propulsée au poste de juge au Tribunal de 2003 à 2016. L’année suivante, elle est nommée membre du comité 255 et entre en fonction en 2018. Elle a gardé des contacts à la Cour. Sont étrangers aux milieux européens, le président de la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, Andreas Voßkuhle, le président de la Cour suprême d’Irlande, Frank Clarke, président de la Cour suprême espagnole, Carlos Lesmes Serrano, et l’ancien juge au Tribunal constitutionnel de Pologne, Mirosław Wyrzykowski. Leur influence au sein du comité est inconnue. Les réunions, le lieu des réunions, les délibérations restent secrètes. Leurs avis sur « l’adéquation » des candidats au poste de juge sont jalousement gardés au secrétariat du Conseil de l’UE et ne sont distribués qu’aux États membres. Récemment, ces derniers se sont plaints de ce que les avis du comité sur leurs candidats ne comportaient que quelques lignes d’explication. D’où un effort cette année de tenter de préciser leurs critères d’évaluation des candidats. Des critères plus que subjectifs et ô combien imprécis. Qu’on en juge.
Un candidat doit avoir « une connaissance de base suffisante », lit-on dans le rapport. Mais il doit surtout être doté « d’une grande capacité d’analyse et de réflexion sur les questions générales relatives au droit de l’Union ». Mais un « généraliste de haut niveau », qui n’est pas expert en droit européen peut tout aussi bien faire l’affaire s’il prouve qu’il comprend « les enjeux qui s’attachent à l’exercice des fonctions auxquelles il aspire ». Aucun barrage à proprement parler. Mais alors avec ces critères, véritables « fourre-tout », pourquoi avoir refusé quatre candidats coup sur coup, envoyés par le gouvernement slovaque, alors que, pour certains, dont le président de la Cour qui le disait en privé, l’un deux semblait faire parfaitement l’affaire ? Le comité est accusé « d’activisme ». D’après de nombreux juristes à la Cour-même, il garderait la place au chaud pour un ancien avocat général slovaque lequel, actuellement en disgrâce, a été systématiquement écarté des quatre procédures malgré son désir de revenir. À suivre.
Pour en revenir aux deux juges récemment nommées, si le gouvernent finlandais n’avait pas eu de doute sur la qualification de sa candidate, Tuula Riitta Pynnä, il en a été autrement chez les Tchèques. « Le gouvernement a été surpris que Petra Skvarilova-Pelzl, ait été acceptée. Il n’y croyait pas vraiment. Elle a beaucoup travaillé, fait du lobbying et cela a marché », raconte un diplomate. Un autre dossier, en Slovénie cette fois. Récemment, Nina Savin-Bossière, a posé sa candidature pour le poste de juge slovène, désormais libre. Référendaire du juge Miro Prek, au départ de celui-ci, elle a été reprise dans le cabinet du président du Tribunal européen, Marc van der Woude. Elle a posé sa candidature pour remplacer son ancien patron et elle attend la décision du président slovène. Celui-ci doit choisir entre elle et deux professeurs de droit. Les trois candidats ont été sélectionnés par le conseil national judiciaire composé de juges et d’autres professionnels du droit forcément impliqués dans la diffusion du droit communautaire, comme le sont les juges européens. Les fonctionnaires slovènes disent qu’elle est parfaitement inconnue en Slovénie. La polémique enfle. À suivre aussi.
Là où le comité fait fort, c’est lorsqu’il admet que peu lui importe la manière dont les candidats sont sélectionnés. Bien-sûr, il dit préférer des procédures de sélection transparentes, mais l’absence de procédures d’évaluation « indépendantes et objectives des mérites d’un candidat » ne constitue pas pour lui un handicap et ne peut « en aucun cas lui porter préjudice ». Il admet volontiers avoir rendu des avis positifs sur des candidatures « alors même qu’aucun appel public à candidature n’avait été diffusé. » Certes, le comité, nommé par le Conseil, prend soin de dire qu’on ne lui demande pas son avis, mais admettre qu’il s’en lave les mains relève, pour certains, de la provocation. De quoi conforter les gouvernements qui pratiquent toujours le copinage. De quoi faire bondir les ONG, les universitaires et les avocats qui se battent depuis des années pour que le personnel judiciaire européen soit irréprochable.
« Actuellement, il y a un manque complet de transparence par rapport à la procédure d’évaluation des candidatures, et cela ne peut que contribuer à une perception d’opacité (…). Peut-être que ce sujet arrivera un jour à la Cour et qu’un ancien candidat, devenu juge, partagera notre avis sur la nécessité de rendre transparente la procédure de nomination, y inclus la sienne », indiquait Alberto Alemanno, professeur à HEC Paris et à la New York University lorsque sa plainte devant la médiatrice européenne contre le mode de fonctionnement du comité 255 a été rejetée. Pour Helen Darbishire de Access Info Europe, qui avait aussi porté plainte, c’est tout le système qui est à revoir.