S’il y a eu un juge éphémère à la Cour de justice européenne c’est bien le Portugais Joao Sant’Anna. Il avait été nommé juge au Tribunal de la fonction publique de l’UE pour quatre mois seulement en 2016. En plus de son traitement de juge, il avait reçu une prime de départ statutaire de 47 000 euros… et pour une activité plus que réduite puisque le Tribunal avait déjà reçu son arrêt de mort. Mais ce qui a aussi choqué est que pendant ce court laps de temps, du 16 avril au 30 août, date de la disparition du Tribunal, il avait pu partir six semaines en vacances, à l’instar de tous les juges et avocats généraux, tous logés à cette généreuse enseigne.
Les juges et avocats généraux ont trois semaines de vacances à Noël, deux semaines à Pâques et pratiquement sept semaines pendant l’été. Ils ont aussi les jours fériés propres au Luxembourg à savoir le 9 mai, fête de l’Europe, et le 23 juin, fête nationale, à l’occasion desquelles ils font en général le pont. Ils ont en outre trois semaines supplémentaires. Une pour la Toussaint, la deuxième lors des fêtes de Carnaval et la troisième à l’Ascension. Dans la pratique, et c’est un secret de Polichinelle, les juges ou avocats généraux qui ont une de leurs multiples activités extérieures, une « mission », quelques jours avant ou après, sont absents de la Cour encore un peu plus longtemps. « Vous remarquerez aussi qu’avant les semaines blanches, dans une série de cas, la Cour va éviter les audiences et les réunions dans les jours précédant directement la semaine de vacances », précise un bon connaisseur du dossier
La Cour appelle semaines blanches les trois semaines accordées en novembre, en février et en mai de chaque année. Elle a forgé ce mot pour les « officialiser » sans leur donner toutefois un statut particulier. Leur particularité principale est qu’aucun délibéré ou audience de parties n’est prévu pendant ces semaines, les juges étant alors libres comme l’air. Les avocats enragent. Leur perception, maintes fois évoquée, est que les juges sont en vacances perpétuelles alors qu’eux attendent la date de leur audience ou de leur arrêt. Les juges nationaux, qui ne contactent la Cour qu’épisodiquement, n’arrivent même pas à concevoir que l’on puisse travailler dans des conditions aussi bonnes!
En 2018, le Parlement européen, du temps de l’ancienne législature et sous la houlette de la présidente de la Commission de contrôle budgétaire de l’époque, Ingeborg Graessle, avait demandé au directeur de l’administration à la Cour, Agostino Placco, quel était l’impact de ces grandes vacances sur le travail des juges. Elle avait probablement lu le rapport de la Cour des comptes de l’UE, publié en 2017, faisant des vacances judiciaires la première cause du retard dans la gestion des dossiers de la Cour. Au cours de l’audition organisée par la commission parlementaire, Agostino Placco s’était exprimé on ne peut plus maladroitement. Voulant d’emblée contrer les reproches des parlementaires, il leur avait expliqué que les vacances judiciaires ainsi que les semaines blanches n’étaient pas « des périodes de fêtes », mais des semaines où les juges travaillaient au calme sans être dérangés. Puis il avait dit que « les juges travaillent de manière permanente, encore plus que les fonctionnaires, qu’ils soient à la maison ou au siège ». Certains, à la Cour n’ont pas vraiment apprécié la comparaison ! Puis vient une autre explication, loufoque, contradictoire : « Si chaque juge prenait ses quelques jours de repos (sic) pendant l’année ce serait beaucoup plus compliqué à gérer parce que l’absence d’un juge empêcherait les chambres d’avoir des audiences ». Autrement dit, l’alternative est d’accepter le système en place ou alors voir quatre-vingt-onze juges et avocats généraux poser leur congés au petit bonheur la chance, rendant impossible l’organisation d’audiences ou de délibérés ! Pour beaucoup, des explications sans queue ni tête. Elles n’ont convaincu personne.
Pendant ces semaines de vacances, il n’y a en principe pas d’audience des parties, confirme la Cour sur son site Curia, mais il peut y avoir des arrêts, quelques fois mêmes de très nombreux arrêts rendus en rafale pendant les vacances d’été, notamment. Une pratique qui donne l’illusion d’une Cour en peine effervescence alors qu’elle est déserte. Car rendre un arrêt est en réalité assez simple. Techniquement, il nécessite la présence d’un nombre limité de juges. Il y a longtemps, à l’époque où la Cour était bien plus petite, il se disait qu’un juge luxembourgeois préférait rester chez lui alors que les autres partaient au loin. Il avait été désigné pour faire un saut au Kirchberg, lieu où siège la Cour, pour y lire des arrêts. Le juge lit alors à haute voix le « dispositif », les quelques lignes à la fin de l’arrêt qui constitue le jugement à proprement dit, par opposition aux « motifs », le reste du texte. Le dispositif peut être très court, « le pourvoi est rejeté », ou comporter quelques phrases, une vingtaine de lignes tout au plus. Actuellement, et ce qui donne une impression de mouvement, il suffit que quelques juges restent à Luxembourg ou y reviennent, lisent les arrêts et s’en aillent aussitôt. Alors ces vacances ? Des moments de travail au calme, c’est probablement vrai pour certains juges. Mais pour les autres ? Aborder le sujet de leurs activités extérieures pourrait donner des éléments de réponse.